Facs : tirer au sort ou sélectionner ?
Tout est parti
ou plutôt reparti du coup de gueule de quelques présidents d'université,
notamment Anne Fraïsse, de Montpelier 3. Si la demande excède les capacités
d'accueil d'une filière, elle a expliqué elle demandera l'an prochain au recteur de procéder à un tirage au sort. C'est
injuste, dit-elle, mais je n'ai pas le choix.
La solution
serait donc de sélectionner par exemple sur dossier.
Oui. Ce qui
n'est pas l'objectif d'Anne Fraïsse, qui plaide pour un accroissement des
moyens des universités en général et de la sienne en particulier. " Au nom
d'un idéal que nous partageons tous, celui de l'ouverture de l'université, nous
arrivons dans le mur " explique-t-elle dans Le Monde. Mais elle s'inquiète
justement du raisonnement qui consisterait à dire, " puisqu'il est
injuste de sélectionner par tirage au sort, mieux vaut le faire sur
dossier ". Raisonnement qui conduirait à l'instauration d'une sélection
officielle à l'université.
Et raisonnement
qui est justement celui de l'Uni...
Exactement.
Cette dernière écrit, " à trop vouloir repousser le débat sur les procédures
de sélection, ce sont les pratiques les plus arbitraires et les plus
incompréhensibles aux yeux des étudiants qui prospèrent ".
Cette
pratique du tirage au sort est-elle répandue ?
Elle est en tout
cas légale depuis 1997. Selon Geneviève Fioraso, citée par Les Echos, " le
phénomène n'est ni en hausse, ni généralisé. Il ne concerne pas plus de 25% des
filières de licence ". En première ligne les filières saturées comme STAPS
(sciences et techniques des activités physiques et sportives), droit ou
activités culturelles. Le ministère précise néanmoins qu'il ne s'agit pas d'un
vrai tirage au sort, en fait le choix se ferait sur la base des informations
recueillies auprès des bacheliers via le système admission postbac. " Il y
a peu de place laissée au hasard " plaide un proche de la ministre.
Il y a aussi
des filières réellement sélectives...
Oui. Et leur
succès ne se dément pas. Il s'agit d'abord des bilicences, mais il y aussi
toutes les filières qui sont rattachées à des universités mais implantées dans
des instituts autonomes – les IUT, les IEP, les IAE, etc. En fait, si vous
regardez l'orientation dans le supérieur, vous vous rendez compte que la
sélection est partout, sauf à la fac.
Avec ces
filières sélectives, on est sûr que le jeune est réellement volontaire pour
suivre les études qu'il a choisies. Ce n'est pas toujours le cas à
l'université...
Non. Et c'est
tout le cercle vicieux qui se met en place. La corrélation entre motivation et
réussite est avérée dans toutes les enquêtes, or les études universitaires sont
trop souvent choisies " par défaut ". Donc non seulement elles ne sélectionnent
pas leurs étudiants mais elles sont obligées d'accueillir des jeunes qui ne
disposent par des bases requises pour réussir. Risque d'échec donc, dès
l'entrée. Mais en plus un certain nombre ne sont pas motivés, ce qui accroît ce
risque. C'est la fameuse " sélection par l'échec " que tout le monde
dénonce.
Il existe pourtant
une procédure dite " d'orientation active ", qui était censée limiter
les dégâts.
Procédure mise
en place par la droite et très hypocrite d'ailleurs : le candidat aux
études universitaires est en effet censé soumettre son projet à l'université,
laquelle lui répond en retour en lui disant, le cas échéant, si ce projet lui
semble voué à l'échec. Mais rien n'oblige le jeune à suivre cette prescription.
D'autant qu'il n'a parfois pas le choix, par exemple quand il a été refusé
partout ailleurs. Autre mesures, elles ont été prises par la gauche cette fois,
il s'agit de faciliter l'orientation des bacheliers technologiques en IUT et
des bacheliers professionnels en BTS – ce sont les bacheliers qui réussissent
le moins bien à l'université. On verra ce que ça donne. Le risque, c'est que
les bacheliers généraux, qu'on souhaite attirer à la fac, aillent en fait
grossir les rangs du privé.
Rangs qui
grossissent...
Oui. Le nombre
d'étudiants a augmenté de 50% au cours des dix années écoulées, et 80% de cette
augmentation s'est faite au profit du privé. En fait, ce débat sur la sélection
est vitrifié depuis 1986. La droite avait essayé de la mettre en place mais des
centaines de milliers de jeunes étaient descendus dans la rue. L'un d'entre
eux, Malik Oussekine, avait été tué par les forces de l'ordre – ironie tragique
il était dans une école privée et ne faisait pas partie des manifestants. Il
n'empêche, aucun gouvernement, depuis, n'a jamais osé s'attaquer à la
sélection. Mais le paradoxe, eh bien c'est que toute une partie des familles,
finalement, a plébiscité la sélection. C'est une sorte de modus vivendi qui
semble convenir aux familles et eux jeunes avec finalement coexistence de deux
systèmes. Mais un modus vivendi qui ne convient plus à certaines universités.
Elles réclament donc finalement une orientation encore plus
" prescriptives " pour reprendre les termes de Jean-Loup Salzmann,
président de la CPU.
Entre la
forte prescription et la sélection, il y a vraiment une différence ?
Le mot. Et donc
potentiellement un mouvement étudiant. Autant dire, du point de vue d'un gouvernement,
un monde.
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