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Public / Privé, la bataille des valeurs

Morale laïque renforcée dans l'enseignement public, caractère propre de l'enseignement catholique réaffirmé par Pascal Balmand, le nouveau patron de l'enseignement catholique, qui s'exprimait ce matin devant la presse. Assiste-t-on à un retour de la querelle scolaire entre public et privé ?
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Franceinfo (Franceinfo)

Le script de la chronique

A priori la querelle scolaire telle
qu'on l'a connue n'est plus à l'ordre du jour. Même à gauche la majorité
considère que 1984 a tranché la question. Mais effectivement, de part et
d'autres, il y a le souci de réaffirmer que l'école n'est pas seulement là pour
transmettre des connaissances mais aussi pour porter des valeurs.

Petit
rappel historique : 1984, c'est l'époque des grandes manifestations de
l'enseignement libre.

Oui, contre le projet de Spulen, de
Service public unifié laïque de l'Education nationale, qui fait partie des 110
propositions de François Mitterrand. Le projet porté par Alain Savary consiste alors
à rapprocher le fonctionnement des deux ordres d'enseignement. Il suscite de
très importantes manifestations du camp catholique mais il est aussi torpillé
de part et d'autres – laïcards et calotins comme on les appelle de manière
péjorative poussent leurs camps respectifs vers des positions inconciliables.
Depuis les relations n'ont pas toujours été au beau fixe mais le PS n'est
jamais revenu à la charge et a priori n'a aucune intention de le faire.

C'est
donc le statu quo, avec 20% d'élèves dans le privé et 80% dans le public.

Oui, ratio hérité de la loi Debré de
1959 et confirmé par les accords Lang Cloupet de 1992. Mais attention, on
estime que près d'un élève sur deux effectue une partie au moins de sa
scolarité dans le privé.

Ce qui
rend le sujet très inflammable : quand on parle du privé, cela touche
beaucoup de monde...

Oui.
Auxquels ajouter tous ceux qui n'y sont pas mais qio en ont une bonne image.
Selon un sondage OpinionWay de juin dernier, 43% des parents souhaiteraient y
voir leur enfant scolarisé. Précision fondamentale : cette adhésion
transcende les milieux sociaux : 44% des cadres le souhaitent, mais aussi
39% des catégories populaires.

A quoi tient cette adhésion ?

A
l'excellente image du privé. Toujours selon le même sondage, 80% des français
pensent que l'enseignement catholique est de qualité et que l'enfant (et non
l'écolier) y a une grande place (80%). D'où une attractivité très forte...

... et une attractivité qui n'a pas grand-chose à voir
avec le caractère catholique du privé.

Oui. Et
contrairement à ce que croient certains, cela n'est pas sans poser problème aux
autorités de l'enseignement catholique et aux autorités religieuses. Elles ne
veulent pas se soumettre, finalement, à une logique consumériste dans laquelle
le privé serait uniquement choisi pour des questions de performance scolaire.
Nous portons des valeurs, a déjà rappelé fortement Pascal Balmand, le nouveau
secrétaire général à l'enseignement catholique, et nous devons les incarner.

De quelle manière ?

Il y a
un premier registre assez classique ; qui passe par des approches
pédagogiques réputées plus attentives à l'enfant, à la notion d'éducation plus
qu'à la notion d'instruction ; cela comporte aussi une place privilégiée
dédiée aux parents d'élèves. C'est aussi pour cela qu'il critique la façon dont
la réforme des rythmes scolaires a été menée, avec séparation nette des
activités scolaires et périscolaires. Pour lui tout est lié et il ne faut pas
que le scolaire soit en quelque sorte enfermé dans les heures de cours.

Mais
Pascal Balmand voudrait explorer un registre beaucoup plus délicat, celui des
programmes, des contenus. Il l'a dit au quotidien La Croix début septembre :
" On tend à considérer que c'est le fonctionnement des établissements qui
est catholique, et non ce qui y est enseigné. Mais il nous faut aujourd'hui
travailler sereinement à une définition de ce que pourraient être des
enseignements ajustés à notre proposition éducative. "

Il y aurait une façon catholique d'enseigner – par
exemple - les mathématiques ?

Alors
non. Il en parle, justement, des mathématiques, en ces termes : " Un
professeur de maths peut, par exemple, prendre le temps d'expliquer – c'est
prévu dans les programmes – que sa discipline est, comme tout savoir humain,
une construction de l'esprit et qu'elle évolue, avec ses avancées, ses
controverses. Il s'agit donc d'apprendre aux élèves le sens critique pour les
affranchir d'une culture matérialiste et les aider à construire leur
liberté ". Il précise : " il ne s'agit évidemment pas pour
moi de prôner quelque forme d'endoctrinement que ce soit. Mais il importe
moins d'accumuler des notions utilitaristes que de partager une culture qui
aide à vivre ".

L'enseignement catholique a aussi adopté un nouveau
statut, qui renforce le rôle des évêques. Est-ce que tout cela témoigne d'une
forme de reprise en main par l'Eglise ?

L'enseignement
catholique s'en défend, en tout cas en ces termes. Pascal Balmand parle de
" haut patronage " des évêques et il conteste l'idée d'une prise de
pouvoir. Ce qui est certain en revanche – et il le dit aussi – c'est que
" l'enseignement catholique fait partie intégrante de l'Église ".
Donc il y a bien une volonté, qui d'ailleurs ne date pas d'aujourd'hui, de
réaffirmer le caractère propre de cet enseignement, de se battre sur le terrain
des valeurs et pas seulement sur celui de la performance scolaire.

Donc pas de querelle scolaire, mais un durcissement
de la bataille sur le terrain des valeurs...

Oui.
Qui d'ailleurs s'explique peut-être autant par des facteurs internes à l'Eglise
que par des facteurs externes. Entre les débats sur la théorie du genre et le
combat largement relayé par l'Eglise contre le mariage pour tous, l'école
catholique doit aussi montrer à ses plus fervents fidèles qu'elle ne baisse pas
le drapeau. Je pense qu'une partie du message est  donc destinée à l'intérieur de l'Eglise...

 

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