Crise, grèves, colère : "Les Français ne comprennent rien au spectacle qu'on leur offre, et ont l'impression de ne pas être gouvernés"

Agriculteurs, cheminots, fonctionnaires, élus en colère : six ans plus tard, les "Gilets jaunes" vont-ils réoccuper les ronds-points ?
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le retour des "Gilets jaunes" ici en Isère, le 22 octobre 2022. Doit-on s'attendre à un retour du mouvement des "Gilets jaunes" en cette fin 2024 ? Pour le sociologue Jean Viard, "il est clair que s'il y a une crise du politique, ce sera une immense crise financière". (Illustration) (MOURAD ALLILI / MAXPPP)

Il y a six ans, nous étions au tout début du mouvement des "Gilets jaunes". "Du périphérique parisien au sud de la France, plus de 2300 rassemblements, et partout la colère et l'embrasement, un ras le bol complet", selon un extrait d'un reportage de France 2 du 17 novembre 2018.

Le mouvement s'est étiré sur plusieurs mois, plusieurs années même. Aujourd'hui en novembre 2024, on voit en ce moment la colère des agriculteurs, celle des cheminots, des fonctionnaires, des élus locaux, très remontés aussi.

franceinfo : Est-ce que pour autant, ces colères pourraient entraîner un nouveau mouvement plus global ?

Jean Viard : Alors ce n'est pas la même situation. Les "Gilets jaunes", ça a aussi démarré sur une provocation du Premier ministre qui imposait les 80 km/h, perçus pour les non-Parisiens – c’est-à-dire à peu près 95% des Français – comme une mesure de punition. Mais on n'est pas dans la même situation. On est dans une crise extrêmement profonde du politique, ou non seulement on n'a pas de majorité, mais surtout on n'a plus de chemin. Après, il y a d'autres sujets, ils sont tous en train de négocier parce qu'on est en train de faire un budget quasiment "ouvert".

Le Premier ministre a dit : "Je mets le budget sur la table, et chacun dit ce qu'il veut". Donc, c'est une façon de gouverner qui est assez spéciale, du coup, tout le monde dit : "pas moi !". Alors les agents immobiliers, l'augmentation du pourcentage, etc. On est dans une négociation de marchands de tapis, pour faire le budget de la France, si on peut le dire, "à la corbeille", mais ce n'est pas la corbeille de la bourse.

Mais ce sont des mouvements plus habituels ? 

Oui, ce sont des mouvements assez logiques. Regardez la SNCF – d'ailleurs, ça n'a pas été un immense succès – ce qu'ils voulaient, c'était la question du fret, c'est un vrai sujet. Est-ce que le fret doit être privé ou public ? Ça se discute, mais c’est là où on devrait avoir un débat. Après, c'est une société qui a été profondément blessée par l'inflation, notamment dans les milieux populaires.

Donc c'est clair que même si actuellement l'inflation a reculé, les prix alimentaires, notamment, ont beaucoup augmenté. Donc, les gens modestes sont vraiment pris un peu à la gorge, et les gens aisés épargnent, parce qu'ils craignent une nouvelle crise. Donc, l'économie est atone. On est dans cette situation, et il ne faut pas gouverner avec les sondages. Il faut poser une position où la crise du politique, c'est l'absence de direction, si vous voulez d'abord.

On voit aujourd'hui des usines qui vont fermer, le retour des plans sociaux, avec en parallèle des économies à venir dans les services publics. Est-ce que malgré tout, le gouvernement doit être vigilant face à tout cela ?

Mais il doit bien sûr être vigilant, et de toute façon, et être vigilant face la souffrance des gens. Quand vous perdez votre boulot, c'est un peu comme si on ferme la porte de votre logement, et on vous dit : va à l'hôtel ! C'est très violent, mais n'essayons pas d'arrêter de changer. Le monde est un changement à toute vitesse : les technologies, les grands enjeux, la guerre climatique. Le problème, c'est comment on accompagne le changement et qu'on protège les individus.

Est-ce qu'on peut craindre d'être sur un nouveau baril de poudre qui peut exploser à n'importe quel moment? Le contexte économique est vraiment différent ? 

Si le politique continue à ne pas trouver un chemin, on est incontrôlable, parce qu'il est clair que s'il y a une crise du politique, ça sera une immense crise financière. On est à la limite, on voit très bien que les entrepreneurs n'investissent plus, parce qu'ils se demandent ce qui va se passer. Les Français ne consomment plus parce que ceux qui peuvent, mettent un peu de côté.

On est à la bordure de quelque chose d'extrêmement dangereux, qui est un manque de direction, une transformation. C'est dans tous les pays, regardez l'Allemagne, on n'est pas les seuls, mais nous, on a une crise très particulière suite à la façon dont l'Assemblée a été dissoute. Et on dirait qu'on a une incapacité de nos politiques à faire des deals sur des projets, comme on fait dans d'autres pays. Moi j'attends Churchill, mais je ne crois pas qu'il y en a un deuxième qui va arriver.

Qui pourrait être les nouveaux "Gilets jaunes" finalement ?

Pour le moment, personne, soyons prudents, je suis sociologue, pas futurologue. Mais il ne faut pas grand-chose pour que ça embraye. En ce moment, il y a des problèmes par secteur, y compris dans l'agriculture. Il y a des problèmes dans l'élevage de vaches, et dans celui du poulet très fortement, mais pas dans les spiritueux.

Les problèmes ne sont pas uniques. Il y a des usines qui ferment. On l'a dit : dans des petites villes, ça peut effectivement mettre le feu aux poudres. Mais je pense que pour l'instant, il n'y a pas de grands sujets transversaux, sauf une espèce de mise à distance de la politique. Les Français ne comprennent rien au spectacle qu'on leur offre, et ont l'impression de ne pas être gouvernés.

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