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Crise sanitaire : "C'est fort comme période et en même temps c'est violent", selon le sociologue Jean Viard

Après déjà deux années marquées par la pandémie, que nous réserve 2022 et que dire des Français qui se vaccinent massivement, mais qui doivent aussi composer avec de nouvelles restrictions ? Le sociologue et directeur de recherche au CNRS Jean Viard apporte son analyse dans "Question de société", samedi 1er janvier.

Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Temps de lecture : 6min
Face à la cinquième vague de Covid-19, de nombreuses villes en France rendent à nouveau le port du masque obligatoire en extérieur, comme ici à Montbéliard, le 30 décembre 2021. (LIONEL VADAM  / MAXPPP)

On avait commencé l'année 2021 avec l'espoir de sortir de la crise sanitaire, grâce notamment à la vaccination. Mais on réalise un an plus tard que tout est bien plus complexe et que le virus est toujours là. Une situation dont les enjeux sont multiples, selon le sociologue et directeur de recherche au CNRS Jean Viard, dans "Question de société" sur franceinfo samedi 1er janvier 2022 

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Jean Viard : Le risque de mourir a diminué, ce qui n’est quand même pas marginal. Mais c'est vrai qu'il y a un an, on pensait en gros qu'une fois vacciné, on reprendrait la vie d'avant. Et là, on est dans une nouvelle phase. On se rend compte qu'on n'est pas sorti de l'auberge, que ça risque de durer très longtemps. Peut-être qu’on devra se revacciner. Peut-être qu'au fond, si tout le monde acceptait de se faire vacciner, ça serait une petite maladie régulière. Donc on change d'imaginaire, mais en même temps on n'a pas l'impression qu'on va en sortir. Et ça, je pense que c'est angoissant. C'est imprévisible. On est tous fatigués. Il y a une montée des violences dans les matches de foot, contre les femmes, contre les élus. En même temps, il y a des tas d'éléments positifs, mais c'est lourd à porter.

2020 a été une année d'efforts collectifs, de solidarité, notamment pour protéger les anciens, les plus exposés au virus. 2021, ça a été une année d'accélération de tendance de fond. On se recentre sur ses proches, sur le local, notamment avec le télétravail, les livraisons. Que nous réserve 2022 et que dire des Français qui se vaccinent massivement, mais qui doivent aussi composer avec de nouvelles restrictions, y compris immédiates ?

Il faut dire une chose qui surprendra tout le monde, mais l'indice de satisfaction et de bonheur augmente. En moyenne, il y a 75% des Français qui disent : "Je suis heureux" (selon le Baromètre des Territoires publié mardi 16 novembre 2021).  Pourquoi ? Parce que quelque part, on se sent protégés. On est protégés économiquement. Les clients ne travaillent pas, l'Etat paye à votre place, ou paye un salaire. L'Etat, mine de rien, on peut en discuter, mais tout le monde a compris que c'était tellement incertain qu'au fond il gouverne à vue et donc, finalement, les gens sont plus satisfaits. C'est ça qui est extrêmement paradoxal et en même temps, ils sont fatigués, déprimés. On est dans cette contradiction. Mais il faut voir les deux côtés.

Cela montre aussi une chose - et Churchill le disait très bien -  après les grandes périodes de crise, ce dont on a envie, c'est de solidarité. C'est au fond de se dire : là on a connu des règles de protection pendant la pandémie qui est de loin d'être terminée, on a envie que ça continue. Regardez les grandes lois sociales en 45 en France, en Angleterre, etc. D'ailleurs, c'est amusant de voir qu'en 47, Churchill a dit : au fond, moi j'aurais assez envie de voter travailliste. Il était le conservateur. On est dans ce paradoxe. On a envie d'être protégés. Notre gauche est complètement déficitaire, c'est le moins qu'on puisse dire. Alors est-ce que la protection ça va être un nationalisme xénophobe ? Ou est-ce que ça va être au fond le principe d'autorité du président sortant ? Ça, c'est ce qu'on verra l'année prochaine.

Il y a, malgré ce désir de solidarité et de fraternité, un clivage aujourd'hui entre vaccinés et non vaccinés. La contrainte doit maintenant peser sur les non vaccinés. C'est ce qui expliquait il y a quelques jours encore le Premier ministre Jean Castex. Est-ce que ça, c'est un changement de doctrine ?

C'est très compliqué parce que si on était tous vaccinés au fond, il semble que cette maladie nous passerait. On pourrait l'attraper. On pourrait la transmettre. Mais au fond, ça ne serait pas extrêmement grave. On aurait de la fièvre un peu pendant un jour ou deux, puis voilà. Ça ne serait pas génial, mais ça serait possible. Je vois les médecins. C'est désespérant pour eux d'être envahis de gens qui ont refusé de se vacciner alors qu'il y a un vaccin. C'est bien qu'ils les soignent. Je veux dire franchement, en termes d'éthique et de valeurs, le monde médical est vraiment génial parce que, excusez-moi, mais ces gens on leur gâche la vie.

On est dans une situation où c'est logique de faire pression sur les non vaccinés, mais en même temps, ça veut dire que l'Etat restreint la liberté des individus et je comprends que ça puisse choquer. Mais, à un moment, c'est un peu comme quand on vous appelle pour la conscription, on n'a pas toujours envie de faire la guerre, on n'est pas militariste, on n'aime pas ça, et en même temps il y a des moments où quand le pays est envahi il faut se défendre. C'est fort comme période et en même temps c'est violent parce qu'on prend des habitudes de réduction des libertés. Et forcément, si le virus dure encore trois, quatre, cinq ans, ça devient des habitudes lourdes. Il y a tous ces enjeux, il ne faut pas les sous-estimer.

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