Dialogue social et effet J.O. : "Ce monde qui change est angoissant et la baisse de la natalité est l'indice de cette peur du futur", estime Jean Viard

A l'approche des Jeux Olympiques, certains syndicats font monter la pression. Un effet J.O. sur le dialogue social ? Une question de société décryptée par le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Accords à la RATP, à la SNCF, chez les contrôleurs aériens : un effet J.O. 2024 sur le dialogue social ? (WE ARE / DIGITAL VISION / GETTY IMAGES)

Des grèves, des accords, des négociations en cours : L'actualité sociale fait souvent la une à 3 mois des Jeux olympiques. On l'a vu cette semaine encore avec des accords à la RATP, à la SNCF, chez les contrôleurs aériens.

franceinfo : Est-ce qu'on peut parler d'un effet J.O. Sur le dialogue social ? 

Jean Viard : Oui, ça me semble assez évident. Et en plus c'était prévisible, ça fait plusieurs mois qu'on entend les gendarmes, les policiers et tout ça demander des primes, ce qui est d'ailleurs bien légitime. Et donc, c'est sûr, c'est une espèce de haie à sauter et au fond, on va purger le dialogue social, certainement à plein d'endroits à cause des J.O. Dans le temps, il y avait de grandes luttes pour l'augmentation des salaires, et on augmentait de 5, de 10% pour tout le monde. Maintenant, on a des professions qui tiennent les clés, notamment, évidemment, les transports, mais ça peut être aussi les éboueurs. Et du coup, effectivement, ils ferment le robinet, et puis ils se défendent, eux. Ils ne défendent pas le monde du travail, la classe ouvrière, etc.

Ce sont des luttes corporatistes, c'est vrai aussi, c'est un peu un des problèmes parce qu'il y a des gens qui n'ont pas les clés. Et quand on voit l'écart des rémunérations à l'intérieur même du monde du travail, beaucoup de salariés, par exemple ceux de Casino en ce moment, ou d'autres grands magasins du commerce, sont plus souvent payés toute leur vie à peine au-dessus du SMIC. Donc là, il y a une forme d'inégalité, parce qu'au fond, il n'y a plus de combat classe contre classe, il y a effectivement ces combats-là.

Et comment recevez-vous cette idée avancée par Emmanuel Macron, répétée d'une trêve olympique ? Il y a ce grand événement, et puis il y a cette volonté des partenaires sociaux, et notamment des syndicats, de se saisir des occasions pour porter leur combat. Comment recevoir cette idée de trêve olympique ?

Alors, il y a deux choses la trêve olympique, c'est aussi une trêve militaire, donc c'est aussi l'idée que peut-être aussi bien en Palestine, en Israël, en Ukraine évidemment, ça peut être une opportunité de faire une trêve qui peut s'habiller en trêve olympique et qui est en même temps une façon de faire une trêve qu'on n'arrive pas à faire, puisque l'idée c'était que pendant les JO, dans la Grèce antique, on arrêtait les combats. Après, à l'intérieur de notre société, ne nous compliquons pas la vie, parce qu’y a jamais de grèves au mois d'août, ni au mois de juillet... donc ça ne change rien. 

Avant le mois d'août, il y a ces préavis qui sont déposés en vue des Jeux Olympiques, mais il n'y a pas de grande manifestation sociale en ce moment même, en dépit d'un contexte économique difficile pour toute une partie de la population. Comment est-ce que vous l'expliquez ? Est-ce que le 1er mai, d'ailleurs, dans quatre jours, sera un bon thermomètre ?

D'abord, je pense qu'on exagère la situation de la société. Il y a des gens en grande difficulté, j'en suis bien convaincu, mais je pense qu'ils sont quand même très minoritaires. Après, les grandes luttes sociales, comme disait Maurice Thorez, "c'est quand il y a du blé à moudre". En ce moment, il n'y a pas de blé à moudre. Tout le monde se demande où est passé le blé ? Donc ce n'est pas opportun, des grandes luttes sociales, maintenant. Il peut y avoir des mouvements de colère, il peut y avoir des gens fâchés, il peut y avoir à Saint-Etienne, si on licencie 300, 500, 600 personnes, des sièges de Casino, des points de conflit durs. Mais honnêtement, ce n'est pas le moment des grandes luttes sociales. Je ne le crois pas.

En plus, je pense que les gens aujourd'hui, ils sont inquiets par un monde qui change à toute vitesse. Et le monde a bifurqué. C'est ça que les politiques devraient expliquer toute la journée ! On était dans un modèle : la révolution industrielle, le progrès, etc. et on a brusquement tourné, et la nature est en train de faire notre histoire, et il faut se battre, s'adapter, etc. Il faut qu'on soit en commune et donc au fond, les gens peuvent être en colère contre ça. Oui, on peut taper sur Macron, on peut taper sur Mélenchon, si ça peut divertir l'actualité médiatique, mais en réalité, il y a une angoisse dans la société de ce monde qui naît, et je le dis chaque fois, la baisse de la natalité est l'indice de cette peur du futur.

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