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Droit à l'IVG : "Il faut l'inscrire dans l'histoire longue, le danger du recul est constant", souligne Jean Viard

L’inscription de l’IVG dans la Constitution marque-t-elle une étape définitive dans le combat des femmes ? Décryptage avec le sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par Augustin Arrivé
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Manifestation à Marseille le 28 septembre 2022, à l'occasion de la journée internationale pour le droit à l'avortement. (Illustration) (SOPA IMAGES / LIGHTROCKET VIA GETTY IMAGES)

Il a beaucoup été question cette semaine sur franceinfo de la loi Veil, loi du 17 janvier 1975, relative à l'interruption volontaire de grossesse, et de ce droit à l'IVG que les parlementaires ont souhaité inscrire dans la Constitution. Ce débat, a sans doute été accéléré par la décision de la Cour suprême américaine au printemps, avec le recul des États-Unis sur ces questions. Cela confirme ce qu'écrivait Aragon : "Rien n'est jamais acquis". C'est le thème du jour avec le sociologue Jean Viard. 

franceinfo : Est-ce que ce qui se passe aux États-Unis est aussi vrai en France ? Est-ce qu'il y a vraiment, selon vous, un risque que quelqu'un revienne sur ce droit ? 

Jean Viard : Vous savez, on a bien vu qu'il y a des tas de choses qui semblaient acquises, qui ne l'étaient pas. Donc il faut faire attention. Non, rien n'est jamais acquis. Et je crois que les sociétés sont toujours en combat, surtout pour quelque chose d'aussi essentiel que le fait que les femmes sont sorties du modèle patriarcal.

Il faut quand même se rappeler que les femmes ne sont des adultes considérés comme adultes que de manière très récente. Elles n'ont le droit de vote que depuis 1946, le droit d'avoir un compte bancaire etc. Vous savez qu'au Moyen âge, l'homme qui ne battait pas sa femme quand elle se tenait mal, était promené dans le village sur un âne, la tête tournée vers la queue de l'âne. On considérait qu'il ne faisait pas son job, parce qu'il ne tenait pas sa maison.

On vient de ses sociétés, et ça a duré longtemps, et les féministes se sont battues, elles ont gagné des étapes, elles ont monté des escaliers. Mais on voit bien qu'il y a des désirs réactionnaires, aux États-Unis, on l'a bien vu, regardez l'Iran ! C'était dans toutes les sociétés, et donc c'est une affaire qui n'est pas terminée. Il y a beaucoup d'hommes qui en sont malheureux.

Je pense qu'une des sources du populisme, c'est très souvent le désir des hommes de retrouver leur place. D'ailleurs, c'est souvent des leaders très masculins, Bolsonaro, ou ce qui s'est passé aux États-Unis. C'est une histoire qui n'est pas terminée, c'est une histoire ou effectivement on est arrivé quasiment à l'égalité citoyenne, à l'égalité démocratique qui est une énorme bataille, mais il y aura des retours, il y aura des reculs.

Bien sûr, les femmes ont mené les grands combats féministes, Me Too est le dernier, qui marque encore une nouvelle étape. Mais il faut l'inscrire dans une histoire longue. Donc le danger du recul est constant, c'est une vraie question, et l'IVG en est quasiment devenu le symbole. 

Rien n'est acquis, mais pour autant, en observant 40 ans plus tard cette loi Veil, on voit que les mentalités ont évolué et que peu de gens en France la remettent en cause. Les combats d'hier deviennent souvent la normalité d'aujourd'hui ? 

Oui, mais c'est la même question que la peine de mort, qui a été votée en 1981, ça a été une des grandes réformes. À l'époque, ce n'était pas tellement populaire, ça l'est devenu. Il y a des hésitations, et au fond, l'IVG, c'est la même chose. Je pense que le mettre dans la Constitution, c'est un signe de plus. Évidemment, on va dire si on le met, on peut aussi l'enlever. On peut l'inscrire dans la Constitution et des gens peuvent arriver qui la feront reculer. Mais ça sera extrêmement difficile. Donc ça donne un sentiment de protection et surtout, ça l'inscrit dans le socle républicain de nos valeurs qui est la Constitution. Donc ça le sanctifie un peu plus. De ce point de vue, ça va tout à fait dans le bon sens. 

Est-ce que le renouvellement des générations est porteur d'espoir selon vous ? 

Oui, c'est compliqué parce que les générations n'ont pas les mêmes types de comportements. Moi qui suis un ancien de la génération 68, on a cassé des cadres, on a ouvert beaucoup de portes. Rien ne dit que les générations d'après, il y a souvent des phénomènes de recul ou de réévaluation. Toute rupture est excessive, ce n'est pas un escalier continu. En même temps, aujourd'hui, les jeunes ont été élevés ensemble dans des écoles mixtes, ils se sont mesurés dans les cours et dans les devoirs, etc.

Donc il y a là, la construction d'une génération qui a aussi été brassée en origines d'immigrés de différentes parties du monde, et donc cette nouvelle génération est plus brassée, ça je pense que c'est un acquis profond, parce que c'est inscrit, je dirais, dans son imaginaire du quotidien, dans sa jeunesse, dans ses souvenirs d'enfance, donc c'est un pas.

Mais soyons prudents, tout peut toujours retourner en arrière. Regardez comme les grandes démocraties, regardez la beauté de la culture allemande et le nazisme. Donc ce n'est pas la hauteur de la culture, la puissance des créateurs et même du droit, ça ne suffit pas effectivement à protéger des grandes folies qui saisissent les sociétés.

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