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Immigration : "Il faut assumer les responsabilités historiques d'une nation, assumer ce qu'ont fait nos ancêtres, même si on n'est pas d'accord avec eux", souligne Jean Viard

Cette semaine, Élisabeth Borne a annoncé le report du projet de loi immigration à l'automne, faute de majorité à l'Assemblée pour le faire adopter. L'Immigration est un sujet sensible, pour ne pas dire clivant pour tous les gouvernements. Retour sur plus d'un siècle d'histoire de l'immigration en France avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des milliers de personnes ont manifesté le 25 mars 2023, entre République et Bastille à Paris, contre la loi "Darmanin", le projet de loi relatif à l'asile et à l'immigration qui vient d'être reporté à l'automne, faute d'une majorité à l'Assemblée nationale pour la faire adopter. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / EPA / MAXPPP)

Comme chaque week-end sur France Info, le sociologue Jean Viard répond à une question de société. Cette semaine, le report du projet de loi immigration à l'automne. Faute de majorité à l'Assemblée pour faire adopter ce projet, Elisabeth Borne y a été contrainte. L'immigration est un sujet sensible, clivant pour tous les gouvernements qui s'y frottent...

franceinfo : La France est une très vieille terre d'immigration, si ce n'est la plus vieille en Europe. Est-ce que c'est toujours pour autant une terre d'accueil ? 

Jean Viard : C'est une terre d'immigration, notamment pour des raisons géographiques. Et donc il se trouve qu'on est au milieu, donc on passe par chez nous. Et puis on a eu beaucoup de réfugiés. Il faut se rappeler les Arméniens, le massacre des Arméniens en 1915, les républicains espagnols, les antifascistes italiens, les Vietnamiens après la prise de pouvoir par les communistes, les harkis bien sûr, et les Syriens plus récemment. Donc, une grosse partie des réfugiés sont effectivement des réfugiés qui nous amènent leur culture, leurs traditions culturelles et par exemple, ce sont ces gens-là qui nous ont amené le couscous, qui est maintenant le plat préféré des Français. Ça, c'est le monde des réfugiés.

Après, il y a effectivement une période où on allait chercher les travailleurs, notamment au Maroc, mais en Algérie aussi, pour les faire venir dans nos usines. Des démarcheurs allaient de village en village, voir les jeunes hommes, regarder s'ils étaient costauds, solides, etc. Et c'est comme ça qu'on a notamment mis dans les mines, mais aussi dans les usines, une partie des populations immigrées. Il y avait déjà eu ça avec les populations chinoises, pendant la guerre de 14-18, on est allé chercher de la main-d'œuvre chinoise. Donc ça, c'est l'immigration "appelée", on va les chercher.

Et puis effectivement, la transformation des économies, le fait qu'on ait externalisé nos usines, depuis 50 ans, plutôt que de faire venir des immigrés du Maghreb, on a tendance à envoyer nos usines en Asie, on a changé de modèle. Donc, il y a un changement culturel, mais on a d'une part une main d'œuvre indispensable, de l'agriculture, du bâtiment et du service à la personne, c'est-à-dire, ces gens qui arrivent et qui rentrent par des boulots modestes. Et pour eux, c'est un progrès, mais pour un Français qui est là, ou un étranger qui est là depuis longtemps, ce serait différent. Et puis on a surtout que l'essentiel des gens qui viennent maintenant, sortent de l'université.

Il y a 5 millions d'étrangers en France, il faut donner le chiffre tout le temps, même si effectivement, il y en a beaucoup plus en Angleterre, en Allemagne, en Russie, etc. parce que l'essentiel des flux, quand il y a des guerres, tout ça, les gens vont d'abord dans le pays d'à côté. Regardez en Turquie le nombre de Syriens, parce que c'est la même culture, c'est la même langue.

On ne va plus loin que si on a été appelé par des gens, etc. mais il faut dire une chose, c'est la conséquence de la colonisation. Il faut assumer les responsabilités historiques d'une nation. On a eu des colonies, on a appris le français à des gens en Afrique noire, au Maghreb, et ces gens, pour eux, ça les fait rêver la France, la démocratie, les valeurs françaises, le droit des femmes. Et donc, je dirais qu'il faut assumer ce qu'on fait nos ancêtres, même si on n'est pas d'accord avec eux.

Mais, on voit bien aujourd'hui, que le débat tourne autour de cette immigration qu'on dit choisie. C'est un terme qui revient beaucoup dans le discours politique, notamment à droite. A quel moment ce terme est-il arrivé et pourquoi ?

C'est arrivé parce qu'il y a eu une phase où on a parlé de regroupement familial. C'était sous le président Giscard d'Estaing, parce qu'on n'avait fait venir que des hommes en fait, et ces hommes ils retournaient un mois par an au Maghreb. Et puis, à cette époque-là, on a défendu l'idée, qui me semble d'ailleurs légitime, qu'ils ont le droit d'avoir une femme et des enfants, et on a fait venir les familles. Donc ça a entraîné quelque chose qui n'était donc pas lié à la question économique, ce n'était pas lié au fait qu'ils avaient besoin de travail puisque les hommes étaient déjà là. 

Et on a commencé aussi à parler de deuxième génération ? 

On a parlé de deuxième génération, et c'est vrai que dans les enfants qui naissent en France, il y en a 16% qui ont un de leurs quatre grands-parents qui vient du Maghreb, 16 %. Et c'est vrai que la place claire de la religion musulmane est devenue la deuxième religion de France, avec à peu près 6 à 8 millions de pratiquants, plus ou moins réguliers.

Donc tout ça, il faut le dire, et la France, suite à la période coloniale, est toujours un grand pays catholique, et de plus, un grand pays musulman, et je crois qu'il faut l'affronter comme une richesse, parce que pour le monde de demain est un monde d'innovation, de découverte, de transformations pour gagner la guerre climatique, et pour ça, on a besoin d'énormément de cerveaux et de cerveaux créatifs. Il faut toujours rappeler que les inventeurs de l'ARN messager, c'étaient des réfugiés politiques turcs en Allemagne.

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