La place du livre dans notre société : pour le sociologue Jean Viard "le fait qu'il y ait beaucoup de livres va plutôt dans le sens d'un principe démocratique"
Jean Viard est sociologue et éditeur. Il porte donc un regard doublement aiguisé sur la place du livre dans une société où les jeunes et les plus âgés semblent moins lire qu'avant. Pourtant, le livre continue à jouer un rôle majeur.
franceinfo : Pourquoi les éditeurs continuent-ils à publier autant de livres ?
Jean Viard : Il y a moins de livres qui se vendent à 1 million d'exemplaires, comme cela arrivait dans les années 1980. Quand Bernard Pivot promouvait un ouvrage, on pouvait arriver à ces chiffres phénoménaux. Est-ce grave ? Je ne pense pas. Nous vivons une société de diversité. Vous écrivez, vous avez 1000 lecteurs, ce n’est déjà pas si mal. On n'écrit pas pour viser le Goncourt mais pour diffuser ses idées, pour partager une certaine joie de la beauté, pour raconter une histoire. Le fait qu'il y ait beaucoup de livres va plutôt dans le sens d'un principe démocratique. Pour les libraires, c'est sans doute plus problématique : comment mettre tous ces livres en valeur, comment assurer une rotation, etc. L'économie du livre est fragile, c'est une économie privée, des librairies magnifiques sont parfois obligées de fermer dans les centres-villes, où les loyers deviennent trop chers.
Justement, de nombreuses librairies dénoncent la vente en ligne des livres. En même temps, Amazon n'a-t-il pas aussi maintenu un intérêt pour la lecture ?
En tant qu'éditeur, je ne peux pas dire du bien d'Amazon sinon les libraires vont m'assassiner, et ils auraient en partie raison. Sur le fond, d'abord Amazon a remplacé les clubs de livres qui ont disparu. Ensuite, les deux tiers des Français habitent dans des maisons avec jardins, plus ou moins loin des centres-villes, et comme on est entrés dans une société de la livraison, l'achat en ligne est devenu une pratique courante (que ce soit avec Amazon, la Fnac, Decitre ou Mollat). Et en effet Amazon a tendance à faire lire, ce n'est pas négatif, même si bien sûr, il faut préférer la librairie qui est un lieu de rencontre, de discussion, de recherche et de découvertes. Vous êtes là, vous feuilletez, vous regardez, le libraire vous parle si vous le connaissez et vous conseille. Ça, c'est irremplaçable et c'est son rôle.
Lire, c'est aussi partager avec l'autre, pouvoir échanger, s'ouvrir. Ce sont les bienfaits de la lecture dans la société ?
Il y a deux grands bienfaits. En premier lieu, la lecture vous fait vivre plusieurs vies, et c'est fondamental de se rendre compte qu'on peut avoir plusieurs vies, qu'on peut donc en changer. Vous lisez une vie sur un Indien américain, sur un type dans une autre ville, sur un marin pêcheur quand vous habitez dans une ville ouvrière de banlieue, etc. En deuxième lieu, l'écriture et la lecture permettent de penser le changement du monde – qui bouge à toute vitesse. On a donc absolument besoin de livres, de réflexion et de débat. En France, le monde politique est, hélas, à 300 kilomètres de cette question : le livre, c'est la pensée du changement. Et c'est aussi découvrir la beauté, qui est essentielle à la vie des hommes.
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