La régulation du loup : "Dans les campagnes, certains ont tendance à dire : bon, vos histoires de loups, on a d'autres sujets en agriculture"
Aujourd'hui, on s'intéresse au loup, un animal qui fait peur aux enfants. Il ne serait pourtant ni gentil ni méchant. Cette espèce protégée depuis trois décennies, pourrait l'être beaucoup moins si demain, la convention de Berne décide d'abaisser ce niveau de protection pour permettre sa régulation. Autrement dit une sorte de chasse au loup.
franceinfo : Déjà 30 ans qu'on cherche à faire cohabiter les loups, les hommes, leur bétail. Pourquoi est-ce que c'est toujours aussi compliqué ?
Jean Viard : D'abord, l'histoire de nos sociétés, c'est la chasse au loup, pour pouvoir développer les troupeaux, et parce qu'on craignait qu'ils viennent voler, notamment les bébés dans les berceaux, quand ils avaient faim. Vrai ou pas ? Mais en tout cas, c'était l'histoire qu'on racontait au coin du feu.
Actuellement, on a à peu près 20.000 loups en Europe, il y en avait 12.000 il y a 10 ans. Et ce qui est intéressant, c'est que le loup s'est développé tout seul. Il est reparti dans les Abruzzes, il n'avait jamais totalement disparu, puis il a profité de l'évolution, y compris des terrains abandonnés, dans des zones sauvages, etc. Et donc le loup, ce n'est pas un choix, ce n'est pas comme l'ours à l'ours, où on a une politique européenne des ours. Le loup, non. Et donc on se retrouve avec des loups qui progressent, et on se trouve avec des moutons qui reculent : en France, à peu près 10 ou 12.000 moutons par an qui sont tués par les loups.
On a en France, à peu près à peu plus de 1000 loups, ça a très légèrement baissé entre 2022 et 2023. Il y a des loups et des demi-loups, on est là face à une double question. D'un côté, vous avez le fait qu'on est tous heureux que la nature retrouve ses droits et cet animal sauvage est rempli d'une beauté et d'une force et on se dit qu'on les a trop massacrés. Et de l'autre côté, quand vous avez 12.000 bêtes tuées par an, il faut se mettre à la place des bergers. Et d'un point de vue bien sûr, financier et à la limite, on peut les indemniser...
Il y a une aide de l'Etat aussi ?
Il y a une aide de l'Etat, il y a une politique publique bien sûr, mais si vous trouvez des moutons morts qui traînent partout, il faut les ramasser, d'un point de vue psychologique, c'est extrêmement dur. Donc vous avez deux logiques. Il y a celle du mouton et celle du loup. Et je pense qu'il faut faire attention. Ceux des villes sont plutôt du côté du loup, même s'ils aiment bien manger une côtelette, et ceux des campagnes sont plus proches du mouton. On est là sur ces basculements. Il faut trouver un équilibre que pour l'instant on n'a pas trouvé. On ne trouvera jamais définitivement, mais qu'on peut plus ou moins améliorer.
Un équilibre, un triptyque agriculture, transition écologique, biodiversité, tout ça doit cohabiter ?
Il faut d'abord qu'on redéveloppe les patous qui sont des chiens qui protègent, après, il faut financer des enclos, rentrer les brebis le soir, le berger avec un immense troupeau comme dans nos films, ou dans nos livres d'enfance, c'était l'idée idée que la montagne était devenue sûre pour l'animal. Et là, on revient à une cohabitation. Ça signifie une modification du métier de berger, ça veut dire ces violences qui sont faites par l'homme, parce qu’il faut de toute façon que les loups mangent, ils ont besoin de viande. Ils attaquent les moutons, les sangliers et d'autres espèces aussi, bien sûr.
Mais le retour du loup arrive à un moment où les agriculteurs ont d'autres difficultés à gérer ?
Oui mais ça, c'est l'agriculture, et en ce moment, elle rencontre une mosaïque de crises. Certains ont trop d'eau, d'autres pas assez, certains ont trop chaud, d'autres pas assez chaud : le bouleversement climatique bouleverse cette profession d'une façon absolument terrible, terrible pour eux, pas en termes de valeur, parce que la paysannerie, c'est une valeur forte de nos sociétés : produire l'aliment, ça reste quand même sacré, c'est le premier besoin de l'homme. Et puis dans les campagnes, certains ont un peu tendance à dire : bon, écoutez vos histoires de loups, on a d'autres sujets en agriculture. Il faut faire attention à ça, parce que ça apparaît comme un choix un peu d'urbains qui vont en vacances et je crois qu'il faut faire attention à ce regard décalé.
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