"La société est d'une créativité extraordinaire, à cause justement de la pandémie, il y a un mot central c'est : le proche"
La crise du Covid-19 avec l'arrivée d'un nouveau variant apparu en Afrique australe, le boom des réservations pour la troisième dose de rappel du vaccin, cela signifie-t-il une meilleure acceptation de la population, une évolution de la société face à l'épidémie ? Le décryptage du sociologue Jean Viard.
La crise du Covid-19 et les aspects sanitaires, le développement d'un nouveau variant, la vaccination toujours plus nécessaire face à la cinquième vague, franceinfo vous en parle tous les jours. Mais il y a aussi, bien sûr, tout un aspect social, sociétal, face à l'évolution de l'épidémie.
0n a appris cette semaine qu'il y aura donc une troisième dose obligatoire pour garder son pass sanitaire pour tous les adultes. Analyse de cette nouvelle situation sanitaire et sociétale avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS.
franceinfo : On constate depuis cette semaine, un boom des réservations pour la troisième dose de rappel contre le Covid-19. Comment expliquez-vous cette réaction qui semble quand même témoigner d'une acceptation des Français ?
Jean Viard : On est, je crois, entré dans un monde avec le Covid. Personne ne sait si, un jour, on enlèvera nos masques. J'attends d'ailleurs que les grands couturiers partent à l'assaut de cette nouvelle pièce du vêtement après le foulard, le cache-nez, etc. Au fond, on est rentré dans cette période, et sans arrêt, on espère que ça va diminuer, on sent bien qu'avec les vaccins, même si on est malade, c'est beaucoup moins grave, etc. Au fond, on a tourné une page, on est entré dans un nouveau cycle. Je crois que c'est ça qu'il faut dire.
Vous savez ce qui se passe en ce moment : on voit le vaccin, on voit les nouvelles vagues, mais en même temps, d'après le cabinet Elabe, il y a 5 millions de Français qui ont déménagé. Il y a plus d'un million de couples qui ont explosé. Donc, au fond pour le sociologue, quand on redit il va y avoir une cinquième vague, moi, je me dis : combien il va yavoir de déménagements en plus ? Combien il y a de couples qui vont explosé, notamment, en particulier dans la jeunesse ? Combien de salariés qui vont changer de boulot ? Pourquoi ? Parce qu'au fond, c'est comme si on était tous malades.
Evidemment, malheureusement, il y a ceux qui sont morts et malades vraiment, il y a ceux qui les soignent, mais au fond, on vit tous, je dirais, comme quelqu'un qui a un cancer et il a des rémissions, et chaque fois qu'on a une rémission, on se dit bon, qu'est-ce que je vais faire de la vie qui me reste maintenant, puisque je ne suis pas mort ? Et au fond, je pense que mentalement, c'est ça qui est en train de se passer. Du coup, les gens se disent : quel est le sens de ma vie? Quel est le sens de ma vie avec cette personne-là, à cet endroit-là ? Quel est le sens de : comment j'élève mes enfants parce que je n'ai pas de jardin, etc. Si vous voulez, c'est ça qui se passe, c'est ça qui est en train de transformer très profondément la société.
En ce moment, il y a un mot qui est central, c'est "le proche". Les gens se reconstruisent autour du proche, c'est-à-dire les proches, la famille proche. Et puis, de l'autre côté, "le proche". C'est-à-dire ce qu'il y a autour de moi. Vous voyez des courses locales, vous voyez le télétravail, qui permet de travailler là où on habite. On est en train de faire une société qui se transforme profondément dans ses liens sociaux, dans ses structures. Et chaque fois qu'il y a une nouvelle vague, ça entraîne un nouveau bouleversement.
Cela dépendra tout de même des mesures qui seront prises pour contenir cette cinquième vague. Toutes ces transformations, ces adaptations de la société, parce que pour l'instant en tout cas, il n'y a pas de confinement prévu, ni même de couvre-feu, pas même de fermetures de commerces, ni de restrictions de déplacement. Tout cela est clairement mis de côté, pour l'heure, par le ministre de la Santé, Olivier Véran.
Est-ce que ce sont des lignes blanches désormais, que le politique ne veut plus, ne peut plus franchir peut-être ?
Il y a la difficulté à le faire parce qu'on a relancé l'économie. Il n'y a jamais eu autant d'actifs de gens étant en emploi entre 15 et 64 ans depuis je crois 40 ans, donc la société est d'une créativité extraordinaire, à cause justement de la pandémie : on a réfléchi pendant deux ans, donc ça ressort de l'autre côté, on n'a pas envie de casser ça. Après, c'est vrai qu'il y a Noël qui arrive, et qu'on sait très bien que c'est un moment essentiel du lien familial et de la consommation. Et puis derrière, il y a les élections, ce qui fait que personne n'a envie d'être le méchant avec le bâton. Donc, il y a tout ça qui joue.
Vous avez cité Noël, et c'est assez intéressant puisque le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a dit que les mesures annoncées cette semaine par le gouvernement la troisième dose, le port du masque en intérieur notamment, c'était pour sauver les fêtes de fin d'année. En quoi est-ce que c'est important pour les Français ?
Il y a deux choses. Il y a la fête de Noël, qui est une fête religieuse pour les chrétiens, mais qui est pour toute la société, une fête des enfants. Je pense que même que pour beaucoup de familles musulmanes ou complètement athées ou juives, c'est devenu la grande fête des enfants. C'est la fête des cadeaux. Et donc, en ce moment, en plus, on se serre les coudes autour des enfants, parce qu'au fond, notre grande peur, c'est qu'un jour, il y ait un virus qui les attaque.
Et puis, il y a deux fêtes à Noël. Il y a celle-là qui au fond n'est pas très dangereuse parce que l'année dernière, il n'y a pas eu d'augmentation de la maladie à Noël parce que les enfants ont fait très attention avec leurs parents et leurs grands-parents. Et s'il y a des limitations à donner, à mon avis, ils vont les fixer sur le réveillon du Nouvel An, parce que là, il n'y a plus de règles. On danse, on fait les fous, on s'aime et forcément, le virus, il en est extrêmement satisfait.
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