Lutte contre le gaspillage alimentaire : "C'est un nouveau système de valeurs qui va nous être utile pour gagner la bataille climatique", Jean Viard
Dix millions de tonnes de nourriture jetées chaque année en France, c'est le chiffre fourni par le gouvernement en cette journée mondiale de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
Si vous êtes chez vous, tournez le regard vers votre poubelle, et pensez à ce que vous y avez mis cette semaine : au moins l'équivalent d'un repas. C'est une moyenne. Le gaspillage alimentaire, c'est 10 millions de tonnes de nourriture jetées chaque année en France. On en parle avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, le Centre national de la recherche scientifique. Ce problème du gaspillage est pris en compte, notamment en France, depuis une petite dizaine d'années.
franceinfo : On a fait des lois pour limiter le gaspillage, ça correspond à quoi cette prise de conscience ?
Au fond, on pourrait dire qu'on sort de la société de consommation. Moi, petit, dans les années 50, on m'engueulait si je n'éteignais pas la lumière en sortant d'une pièce. À l'époque, on faisait extrêmement attention. Après, on a été emporté par une société de consommation.
En plus, en France, d'un côté, on a l'électricité qui est peu chère, même si c'est en train de changer et d'autre part, avec la révolution agricole, la chimie, l'industrie, et puis les grandes réformes agricoles de De Gaulle, essentiellement de Pisani, à partir effectivement de 1962, date de l'indépendance de l'Algérie, on n'avait plus ce sentiment de pénurie alimentaire ressenti pendant la guerre et après-guerre, on avait fourni de l'alimentation. La France était indépendante en matière alimentaire, donc il n'y avait pas vraiment de limites et le budget alimentaire des familles s'est effondré. La part du revenu consacrée à la nourriture a beaucoup baissé.
Donc, c'est toute une période dont on est en train de sortir, parce que la société de consommation n'est plus notre référent culturel et mental, on est dans une société de la réutilisation. L'économie du vêtement s'est complètement effondrée parce que les gens achètent des trucs d'occase, ils sont tout fiers que ça soit d'occase, alors qu'avant, les gens très modestes souvent, achetaient de l'occasion et essayaient de ne pas le dire. Aujourd'hui au contraire, ça devient une élégance à la mode. C'est la même chose avec l'alimentation.
On rentre dans une nouvelle société : on était dans des sociétés industrielles, on valorisait le progrès, et on avait l'impression que l'échelle était sans fin. À un moment, on s'est rendu compte qu'on avait fait de telles prédations sur la nature, qu'on était en haut de l'échelle, et on a commencé à se dire comment on fait pour vivre dans une société où la nature a pris le pouvoir, où l'homme n'est plus maître et possesseur de la nature ?
Et la nature, elle nous fait le réchauffement climatique, les incendies, les problèmes d'irrigation et donc on a un problème de limitation alimentaire. C'est une nouvelle morale et dans cette nouvelle morale arrive évidemment le tri sélectif des déchets qui fait qu'on attache de l'importance à ces déchets. Et maintenant, on sépare le verre, les piles, la nourriture, et on se rend compte qu'on jette énormément de choses qui ne seraient pas forcément à jeter. Au fond, c'est un nouveau système de valeurs qui va nous être utile pour gagner la bataille climatique. On mesure là un thermomètre de l'évolution des mentalités qui vont dans la bonne direction.
Mais moins gaspiller, c'est aussi mieux produire. Peut-être qu'aujourd'hui, on cherche tous notre lien avec la nature en se disant qu'on va peut-être pouvoir créer un petit coin de potager dans son jardin, sur son balcon, pour moins gaspiller aussi, parce qu'on va mieux maîtriser sa consommation ?
Rappelons-nous que 60 à 70% des gens ont un jardin, dont 40% font dedans quelques activités potagères. On est une société de maisons individuelles avec jardin : les gens ont envie de faire pousser un arbre, d'avoir un animal, 80% des jardins ont un animal, c'est le mode de vie. Mais ce qui a changé, c'est qu'avant on voulait des espaces verts dans les villes, aujourd'hui, on veut de la nature qui marque les saisons, on veut voir des arbres fruitiers sur les ronds-points avec les fruits qui tombent, on laisse pousser l'herbe, en hiver, elle est jaune. Ce qu'on veut, c'est voir la vie à l'œuvre dans la nature parce que c'est une façon de savoir vivre dans le monde qui est en train de se réchauffer.
Et on veut aussi limiter le gaspillage. Et pour lutter contre le gaspillage, il y a aussi les associations caritatives qui font la tournée des magasins chaque jour pour récupérer les invendus. L'hiver approche et les besoins augmentent. Alors on pense aussi à ces bénévoles qui donnent de leur temps et qui ont besoin de nos dons.
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