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Pénurie de saisonniers : "Il faut permettre aux jeunes de travailler dans des conditions économiquement satisfaisantes, en étant déclarés", estime Jean Viard

Les saisonniers sont devenus une perle rare. Comment assurer un bon recrutement pour l’été à venir ? Quel est le problème avec l'ensemble de ces métiers ? Le décryptage du sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Augustin Arrivé
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
21 avril 2023 à Paimpol. La saison haute se prépare dans les établissements touristiques comme les bars et restaurants. La difficulté à recruter des saisonniers s'accentue. (Illustration) (MARC OLLIVIER / MAXPPP)

L'hôtellerie-restauration a déjà bien du mal à recruter pendant l'année. Alors que dire de la période estivale ? En pleines vacances, le secteur a encore davantage besoin de saisonniers. Rien n'est simple. Le gouvernement a présenté cette semaine ce qu'il a appelé un "plan saisonnier". L'été dernier, il y avait 150.000 postes. La moitié de ces postes n'ont pas été pourvus.

franceinfo : Qu'est-ce qui ne séduit plus, Jean Viard, dans ces métiers ?

Jean Viard : D'abord, il y a un problème avec l'ensemble des métiers, très contraignant pour le quotidien, depuis la pandémie. Et puis les gens sont très peu stables, comme on manque de personnel, on en cherche partout, donc si vous n'êtes pas très content de votre emploi, vous partez, vous ne dites rien, donc il y a un énorme problème de permanence des gens. Au fond, on n'a plus envie de travailler tous les soirs. C'est vrai aussi pour les chauffeurs poids lourds, très longue distance, qui n'ont plus envie de passer une semaine tout seul dans leur camion et de revenir de temps en temps le week-end.

Donc la pandémie nous a remis l'idée que l'art de vivre était premier. Après, il y a des endroits où on s'est adapté. Des endroits, non. Il y a des hôtels-restaurants, des bars qui logent leur personnel. Il y en a d'autres, qui ont modifié leurs horaires. Il y a beaucoup de restaurants maintenant qui ne sont ouverts que cinq jours par semaine. Il y a des tas d'évolution du métier pour essayer d'intégrer au fond cette idée de qualité de vie. Après, il y a un problème particulier avec les saisonniers. Il se trouve qu'on en avait parlé la semaine dernière, lors de notre déjeuner à l'Elysée avec des sociologues. On a donné des idées qu'on avait au président de la République.

Moi, l'idée qui me tenait à cœur, celle que j'ai vue en Belgique, c'est que tout jeune de 16 à 26 ans peut travailler pour 4 000 euros par an, ils font deux ou trois mois de travail sans aucune charge mais déclarés, mais qui permettent effectivement aux jeunes d'être motivés à travailler, dans des conditions économiquement satisfaisantes, en étant déclarés, donc ça compte pour leur retraite.

Il faut aller vers ces réflexions, parce que c'est aussi l'idée qu'un jeune bien formé, c'est un jeune qui a travaillé un peu pendant ses études. Je crois que le modèle où on fait d'abord des études, après on essaye de trouver un travail, est un modèle qui est un peu périmé dans des sociétés aussi complexes. Je pense qu'un jeune qui a travaillé un ou deux mois ou un week-end par mois pendant ses études, c'est un jeune qui va plus facilement trouver du travail. S'il travaille trop, non, parce qu'à ce moment-là, il rate ses études.

Donc la question c'est : comment on impulse dans la jeunesse, la relation humaine, ce qui se crée, ce qu'on apprend, le respect des règles, le respect aussi du patron, des organisations, tout ça, ce sont des choses qui s'apprennent, et je pense qu'il faut qu'on incite par des conditions économiques attractives à aller vers le travail saisonnier. 

Le plan du gouvernement, lui, est plus largement axé sur la formation ou l'accompagnement en fin de contrat. Ce sont deux manières différentes d'envisager le problème ?  

Alors moi je crois à cette impulsion. Ce n'est pas tellement une question de formation parce que dans les métiers de saisonniers, il y a des métiers différents. Il y a toute l'hôtellerie restauration, tout ce qui relève du monde agricole, qui sont des métiers encore plus durs. Et on avait vu pendant la pandémie, puisqu'il n'y a avait plus moyen d'avoir des saisonniers étrangers, on avait dit : on va prendre que des saisonniers français, il n'y en a pas beaucoup qui sont restés longtemps à ramasser des fraises. Parce que ce sont des métiers extrêmement dur physiquement, et c'est pour ça, les problèmes ne sont pas partout les mêmes. 

Et puis il y a un autre profil de saisonnier, non pas les étudiants, mais les professionnels qui ont pris cette habitude, plus installée, de carrières hachées, l'été, l'hiver, avec des pauses entre les deux, il faut aussi penser à eux ? 

Mais bien sûr, il y a beaucoup de gens qui sont comme ça. Il y a 30 ou 40 ans, ce qui était très honorable dans le monde du tourisme, c'était en gros de faire la côte l'été, et les stations de ski l'hiver. C'était presque la Rolls-Royce de ces populations. Ça aussi, il me semble, c'est un peu moins à la mode, mais là encore, ça a entraîné des vies familiales très complexes. Ça veut dire déménager, vivre six mois par an à un endroit, six mois à un autre, donc là encore, je pense qu'on revient sur des questions de mode de vie, c'est moins à la mode que ça n'a été.

Mais il faut dire aussi qu'après la guerre, partir en vacances, c'était très rare, donc ceux qui faisaient ces métiers, ils vivaient toute l'année au pays des vacances. Aujourd'hui, 60% des gens partent en vacances, donc partir dans ces métiers, c'est moins différent que la vie qu'ils auraient s'ils ne travaillaient pas, parce que de toute façon ils vont se débrouiller pour partir en vacances. 

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