Présidentielle américaine : "C'est la construction d'un autre chemin qui fera reculer le populisme, comme au début du XXᵉ siècle", selon Jean Viard

Retour avec le sociologue Jean Viard sur la réélection de Donald Trump, devenu mercredi 6 novembre 2024, dans une victoire sans appel, le 47e président des Etats-Unis.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Les supporters de Donald Trump célèbrent sa victoire et son comeback à la présidence des Etats-Unis, à Palm Beach en Floride, le 6 novembre 2024. (CHANDAN KHANNA / AFP)

La réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche démontre à nouveau, que le populisme a le vent en poupe aux Etats-Unis, en Argentine, en Hongrie, en Italie, et même en France. Le populisme est né à la fin du XIXe siècle en Russie pour s'opposer au tsar. Aujourd'hui, c'est une détestation des élites, des institutions, du système.

franceinfo : Pourquoi le populisme parvient-il à séduire autant ?

Jean Viard : Ce n'est pas qu'une détestation des élites, c'est aussi une détestation des immigrés et des plus faibles. Donc c'est vraiment l'idée qu'au fond, c'est le pouvoir des braves gens, on va le dire comme ça. C'est un pouvoir central, qui exclut les très riches, et qui exclut les défavorisés, les pauvres, etc. et la société bouge avec la dialectique droite/gauche – on pourrait appeler ça, capital/travail – et les uns amènent une idée, les autres en amènent une autre, on revote, on avance, on recule, etc. C'est la dynamique.

Là, il y a des moments où la société a totalement bifurqué. L'enjeu capital/travail n'est plus central. Les deux grands enjeux, c'est le rapport entre les hommes et les femmes et surtout, autant, la prise de pouvoir de la nature sur l'humanité, sur notre histoire. Donc le politique ne sait plus comment gouverner ces deux grands sujets.

Mais ce qui est sûr, c'est que si on prend les gens qui allaient à l'église il y a 40 ans, ils étaient 35%. Les gens qui votaient communiste, ils étaient 25%. En gros, les deux grands camps, cela faisait c'est 60%. Aujourd'hui, il leur reste 6%. Donc il n’y a plus cette construction, le populisme occupe l'espace en disant : ne changeons pas, gardons le pouvoir sur les femmes, gardons le pouvoir sur les colonies ou les immigrés, gardons le pouvoir sur la nature, au fond, c'est cela Trump, c'est ce discours. Il aurait prononcé le même discours il y a 100 ans, c'était banal, donc simplement c'est un discours conservateur, réactionnaire, qui effectivement est un discours central, parce qu'en face il n'y a pas un autre chemin.

Ce que vous nous dites, c'est que plutôt que de chercher à dénoncer ce populisme, il faudrait plutôt chercher à questionner ce qui ne fonctionne pas dans la démocratie ? 

Le problème, c'est que le camp de ce qu'on pourrait appeler la gauche libérale, au sens large, n'arrive pas pour l'instant à avoir une pensée cohérente. Il y a des affrontements, certains sont écolos, d'autres sont anticapitalistes etc. On a un tel rapport quand on est à gauche avec le capitalisme, avec les entreprises, que l’idée d'avoir des grandes entreprises écologiques, ça semble presque des mots imprononçables. En France, on a un travail particulier à faire sur ces sujets.

On voit aussi finalement un lien entre populisme, protectionnisme, nationalisme, il y a une fermeture qui va souvent avec ?

Bien sûr...Alors que tout gouvernement protège d'abord sa population, c'est bien la moindre des choses, et les Américains ont toujours été relativement protectionnistes. Mais ils le sont davantage en ce moment, y compris parce qu'après la grande pandémie, la mondialisation a reculé, parce que pendant une période, on n'avait pas le choix, on était obligé, et puis on s'est rendu compte qu'il valait mieux faire des affaires avec ses voisins qu'avec un truc à l'autre bout du monde où on dépendait complètement d'un seul fournisseur, donc il y a un changement mental qui s'est opéré.

Et puis en même temps, la crise climatique est tellement d'évidence mondialement – on en fait tous partie, on est tous des acteurs et on est tous une partie de la solution. Et donc il y a une tendance à se replier sur soi en disant : on va un peu attendre que ça passe. C'est ce qui se passe avec les Américains, ils se disent : on va attendre que ça passe, on va essayer de bloquer les Chinois, les Européens, et puis on va bien voir. Mais simplement on ne peut pas attendre que ça passe, parce que la terre chauffe.

Est-ce que c'est le populisme qui menace la démocratie ou c'est la déconnexion de ceux qui dirigent ?

Non, c'est le fait qu'on a bifurqué, on a pris une nouvelle direction, on est sorti de la révolution industrielle, on est rentré dans la grande guerre climatique, et il y a un temps politique de transformation, ça prend du temps. Et pour l'instant, on est entre deux modèles, et entre ces deux modèles, il y a une solution facile : rassemblons tous les braves gens et excluons tous ceux qui ne nous ressemblent pas,  et dénonçons les autres, mettons des frontières et refermons-nous sur nous.

C'est une position d'attente que je qualifierais pour ma part de négative, même si je la respecte. Et la question pour ça, c'est qu'il faut surtout pousser les autres à construire un projet de développement économique et culturel d'un monde écologique et individuel. C'est la construction d'un autre chemin qui fera reculer le populisme, comme la dernière fois, au début du XXᵉ siècle.

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