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Question de société. Jean Viard : "L'Allemagne et la France ont deux histoires, et le moteur de cette alliance est une puissance extraordinaire"

L'Allemagne s'apprête à tourner une page à dire au revoir à celle qu'il a dirigé le pays pendant seize ans. Le sociologue Jean Viard évoque cette chancelière qui a connu quatre présidents français et la relation qui lie la France et l'Allemagne. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
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Angela Merkel, une chancelière allemande qui a connu quatre présidents français. La France et l'Allemagne, souligne Jean Viard, "C'est la construction d'un espace démocratique fait par la paix, mais pas par la guerre, et c'est quand même magnifique !" (PATRICK KOVARIK / AFP)

Angela Merkel, avec les élections législatives du jour qui doivent désigner celui ou celle qui va la remplacer, se prépare donc à quitter son poste de chancelière. Elle a connu quatre présidents français, de sa première visite à Jacques Chirac en 2005, jusqu'à son dernier passage en France la semaine dernière.

franceinfo : Une chancelière allemande, quatre présidents français. Est-ce que cela dit, quelque chose de nos pays ?

Jean Viard : Il y a un peu de hasard parce que François Mitterrand a été au pouvoir pendant 14 ans, mais c'est vrai qu'il changeait de Premier ministre plusieurs fois. Ça dit une chose, c'est sûr que l'Allemagne qu'on connaît aujourd'hui, c'est celle que les Américains ont dessinée après guerre. C'est une Allemagne appuyée sur ses régions, vous savez que le rêve des Américains, au départ, c'est d'en faire une grande puissance agricole, non industrielle. Et puis, finalement, Churchill a poussé à ce que l'Allemagne refasse de l'industrie.

Donc, au fond, c'est un pays très régionalisé, avec un pouvoir central qui est relativement modeste comme influence, alors que la France, c'est l'inverse. C'est un pays qui est dans sa tradition historique de jacobinisme, avec un super président qui en ce moment change chaque fois, n'arrive jamais à se faire réélire. C'est deux modèles, mais n'oublions pas que tout ça, c'est la suite du siècle précédent. Le XXIe siècle, c'est la continuité. Voyez, cette semaine, je suis passé à Oradour-sur-Glane, c'était sur ma route, c'est ça aussi nos mémoires, de même que les Allemands, la crise des années 30, c'est pour ça que financièrement, ils sont aussi bloqués parce qu'ils ont eu un souvenir terrible de la montée du nazisme, évidemment. Ces mémoires sont là.

Et puis, l'Allemagne est un immense pays commerçant construit sur l'automobile et la machine-outil, avec une compétence technologique absolument considérable. La France est un pays de service, c'est un pays touristique. On a aussi une industrie, heureusement, mais qui, relativement, est moins puissante. Donc, on n'a pas exactement les mêmes enjeux. Les Allemands vendent beaucoup plus dans le monde entier, nous beaucoup plus en Europe, etc...On ne peut pas être indifférent à la question allemande. Mes deux grands-pères étaient à Verdun, comme beaucoup de Français. On est dans cette relation et donc, on cherche à être très proches pour ne pas se disputer, pour ne pas oublier le passé, mais petit à petit, le mettre à distance. 

Alors justement, vous nous parlez du passé, vous citez Oradour-sur-Glane, ce massacre des SS en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a donc ce passé douloureux et cette relation bilatérale franco-allemande présentée comme un couple. Est-ce que vous pensez vraiment que les Français se vivent dans ce couple franco-allemand ?

D'abord, les Allemands parlent d'amitié. Le couple, c'est une notion française. C'est marrant de voir qu'on n'a pas le même mot déjà des deux côtés de la frontière. Le traité qu'on a signé, d'ailleurs, c'est un traité d'amitié, ce n'est pas un traité de mariage. Mais on a mis "couple" en avant parce que l'enjeu, c'est que ensemble, on fait la paix, et j'allais dire quand on n'est pas ensemble, on fait la guerre. Et on n'a qu'à voir ce qui se passe avec le Brexit anglais, pour se rendre compte que dès que les Anglais s'éloignent, on commence à avoir des tensions et pas seulement sur la pêche. Regardez l'histoire des sous-marins, etc.

Donc ces grandes nations, elles ont intérêt à très proches parce que sinon, elles retrouvent des stratégies divergentes. Et donc, au fond, l'Europe, c'est l'alliance, on pourrait dire de ces deux contraires, c'est un peu comme les pôles électriques, on n'a pas la même histoire, la même mémoire. Faut jamais oublier que l'Allemagne s'est construite tardivement. La France est une très vieille nation. L'Allemagne s'est construite beaucoup avec Bismarck au XIXe siècle. Du coup, on a deux histoires, et le moteur de cette alliance est une puissance extraordinaire.

L'Europe, c'est quand même le premier espace économique mondial. Il ne faut jamais l'oublier. Mais il est très puissant en économie, et au fond, il est assez faible en politique. Donc on est là sur ces contradictions, y compris parce qu'au fond, c'est la France qui a le siège du Conseil de sécurité, ce n'est pas l'Europe, c'est la France qui a une armée, pour l'instant, c'est pas vraiment l'Europe. Donc, on est là sur des associations de choses différentes, mais qui créent quelque chose d'unique dans l'histoire du monde, c'est la construction d'un espace démocratique fait par la paix, mais pas par la guerre. Et ça, c'est quand même magnifique.

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