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Réchauffement climatique : "On est entré dans le siècle de la bataille de l'eau", estime Jean Viard

La pression du réchauffement climatique sur les agriculteurs en France, c'est la question de société posée aujourd'hui au sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Mauzé-sur-le-Mignon dans les Deux-Sèvres, 22 septembre 2021. Les méga-bassines sont le symbole de la préservation d'une agriculture productiviste, qui assèche et détruit les sols, estiment les opposants. (Illustration) (DELPHINE LEFEBVRE / HANS LUCAS VIA AFP)

Le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, nous répond aujourd'hui samedi 26 mars, au regard du weekend de manifestations sur le sujet du réchauffement climatique et de la pression qu'il exerce sur les agriculteurs, notamment des manifestions en Poitou-Charentes contre un gros projet de retenue d'eau, des "méga-bassines", comme les appellent les opposants qui se mobilisent jusqu'à dimanche soir.

16 bassines de ce genre doivent voir le jour à terme, mais ça a déjà commencé. Une réserve d'eau grande comme sept terrains de football, par exemple, a été creusée dans les Deux-Sèvres, à Mauzé-sur-le-Mignon. Et cela divise le monde agricole, entre ceux qui prônent le bon sens – on remplit des bassines l'hiver pour stocker l'eau et l'utiliser l'été – et puis, ceux qui rejettent, ceux qui dénoncent un accaparement de l'eau au service d'une agriculture intensive d'un autre temps.

franceinfo : Jean Viard, le bon sens face au rejet d'un modèle agricole dépassé : c'est ça qui se joue dans cette affaire ? 

Jean Viard : On est entré dans le siècle de la bataille de l'eau. Ça va être partout sur la planète : avec le réchauffement climatique et une augmentation des sécheresses, il y a effectivement une bataille de l'eau. Ça peut être sur le Nil, comme entre le sommet des montagnes et la plaine, puisque l'eau tombe sur l'eau et descend. C'est ça qu'on voit. C'est une bataille générale qui nécessite une nouvelle politique de l'eau, de sa consommation, de la répartition. Les agriculteurs, c'est à peu près la moitié de la consommation d'eau en France. En gros, pour boire, on prend 24%, l'énergie, c'est 22% et l'industrie, c'est 6%. Donc, ça veut dire que les agriculteurs sont à la moitié de la consommation d'eau et donc, c'est évidemment un enjeu absolument gigantesque.

Et de toute façon, on estime que les rivières vont baisser de 10 à 30, 40% de débit parce qu'il y aura moins d'eau, ça, c'est la toile de fond. Donc, effectivement, il y a des centaines de bassines en cours, plus ou moins grandes. En général dans presque deux tiers des cas, il y a des conflits, soit des conflits politiques, soit des conflits juridiques. Il y a souvent des attaques juridiques contre ces structures parce qu'effectivement, la première tendance, c'est de dire on fait une réserve, on prend l'eau de l'hiver et on arrose l'été. C'est rationnel. Ça évite au fond de modifier vraiment les cultures. Même si les paysans ont déjà diminué de 30% leur consommation d'eau, il ne faut pas non plus faire comme si ils n'y étaient pas attentifs. 

Et donc, effectivement, il y a conflit sur cette question. Au fond, est-ce qu'on modifie ce que produisait l'agriculture, est-ce qu'on arrête de faire du maïs ? Est-ce qu'on fait du sorgho ? Est-ce qu'on a des nouvelles techniques d'irrigation ? C'est une des possibilités. De l'autre côté, évidemment, si on prend l'eau, il y a moins d'eau en bas, dans les rivières, dans les zones humides, dans les plaines, et ça modifie les écosystèmes. Et c'est tout ça qui est en conflit.

Carte des projets d'implantation des "Bassines" dans le département des Deux-Sèvres.  (FRANCE TELEVISIONS)

Et je pense qu'à un moment, on va devoir négocier bassin par bassin. Il y a des endroits où ça se passe bien. Il y a des endroits où il y a des négociations entre les agriculteurs, les paysans, parce qu'après tout, si vous avez un jardin, pourquoi vous auriez moins le droit de l'arroser que le type à côté qui fait du maïs, alors que vous êtes contre le maïs ? Actuellement, c'est la loi. Tous ces enjeux sont devant nous et vont être, à mon avis, très tendus. Et puis, rappelez vous quand même, évidemment, Rémi Fraisse et le projet de barrage de Sivens, donc c'est un sujet qui peut tourner très, très mal. 

Le problème de fond de cette question, c'est que l'eau appartient à la fois à tout le monde et personne, c'est ça qui est à la base du sujet ? 

Le problème de l'eau, c'est que c'est un bien commun, gratuit. Mais après vous, le payer, vous avez des robinets chez vous, vous le payez parce que ce qu'on paye en réalité, c'est la collecte de l'eau, son traitement et sa distribution. Mais en même temps, c'est un bien gratuit. Et donc, il y a des gens qui disent : il faut la laisser tomber où elle tombe parce que la nature a été prévue pour ça. À tel endroit, il y en a beaucoup, à d'autres endroits moins. Quelque part, c'est vrai, ça va se déplacer, de même que vont se déplacer les végétations : les arbres qui naissent et qui poussent à Marseille, ils pousseront à Lille dans 30 ans, 40 ans, donc tout l'écosystème est en mouvement.

Moi, je plaide pour un ministère de la Protection civile qui pense toutes ces questions qui les négocie, on est déjà dans le réchauffement climatique. Ça devrait être un sujet permanent de négociations, de palabres, et effectivement, évidemment de modifications en partie des techniques agricoles, mais aussi de modifications de certains écosystèmes. Il ne faut pas rêver. 

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