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"Un islam de France, ce serait un islam qui accepte la laïcité"

Une nouvelle représentation et une nouvelle gouvernance pour l'islam de France : exit le Conseil français du culte musulman (CFCM), place au Forum de l'islam de France (Forif). Décryptage avec le sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
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5 février 2022. Forum de l'islam de France au Conseil économique, social et environnemental. Séance plénière pour la présentation des conclusions des quatre groupes de travail par les rapporteurs. Application de la loi confortant le respect des principes de la République, professionnalisation et recrutement des imams, sécurité des lieux de culte et lutte contre les actes antimusulmans, et organisation et fonctionnement des aumôneries. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS VIA AFP)

Le Forum de l'islam de France (Forif) tient sa première réunion aujourd'hui samedi 5 février, avec des représentants musulmans choisis par l'Etat dont on connaît déjà la feuille de route. Ils vont devoir travailler sur quatre thèmes prioritaires : la professionnalisation des imams, l'organisation des aumôneries, la sécurité des lieux de culte et l'application de la Loi contre le séparatisme.

Avec Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS et ancien candidat LREM aux élections législatives dans la 5e circonscription du Vaucluse en 2017, on évoque aujourd'hui la création de ce Forif. Il a été reproché au CFCM de ne pas assez représenter les musulmans de France, d'être seulement une instance de dialogue avec l'État.

franceinfo : En quoi est-ce que c'est important pour les musulmans d'être représentés ?

Jean Viard : Les musulmans en France, c'est entre 4 et 5 millions de pratiquants, à peu près, 6 à 7% de la population. Et puis, il y a sans doute un ou deux millions de personnes de culture musulmane, mais qui sont devenues complètement laïcisées. Donc, ils ne vont jamais à la mosquée, pour donner un ordre de grandeur. Mais c'est un sujet dans notre société très sensible, chacun le comprend, et qui a augmenté en sensibilité depuis les attentats de 2015. Donc, il ne faut pas se cacher tout ça.

Après, la question, c'est qu'avec la culture catholique – historiquement dominante –on est habitué à une institution avec laquelle l'Etat discute. Le problème de l'islam, c'est que ce n'est pas une structure hiérarchique comme est devenue l'Eglise catholique, donc on peut s'installer imam, les mosquées n'ont pas toutes le même statut, etc. C'est très décentralisé d'une certaine manière, et en même temps, c'est très organisé par les pays d'origine. Le gouvernement turc met de l'argent, le gouvernement algérien, le gouvernement marocain, chacun cherche à garder ses nationaux, ses binationaux. Il y en a tout ce mouvement, très autonome, et de l'autre côté, des grands intérêts stratégiques.

Le problème de l'Etat, c'est qu'il a une culture romaine, il a besoin de discuter, parce que la question de la place des musulmans, c'est d'abord qu'ils aient des mosquées. Ces mosquées – il y en a 2 500 – ce sont souvent des lieux hyper discrets.

Si vous voulez, on n'a pas complètement accepté en France qu'il y avait une nouvelle religion qui avait une place dans la société. Mais prenez Marseille, il y a à peu près 200 000 musulmans. Chaque fois qu'il y a un projet de grande mosquée, il y a des procès, des appels, on n'y arrive pas. Vous avez 200 000 musulmans qui n'ont pas un endroit symbolique de fierté. Parce qu'on dirait toujours que les musulmans ne font que passer. Non, les musulmans sont en France, il faut petit à petit les organiser.

Alors, la demande de l'Etat est légitime, mais compliquée, parce qu'évidemment, on ne peut pas représenter des structures très décentralisées et en même temps, on ne veut pas intégrer les opérateurs étrangers dans ce processus.

Qu'est-ce que l'islam de France, si ce n'est pas synonyme de tous les musulmans de France ? 

Le problème, c'est comme tous les gens qui sont d'origine catholique : la plupart ne croient plus en Dieu, donc ne vont plus à l'Église, si vous voulez. Donc, c'est la même question, il ne faut pas mélanger les gens qui ont été élevés dans une culture, et puis les gens qui sont des pratiquants religieux. Disons qu'il y a une culture musulmane présente en France. Et puis, il y a des pratiquants religieux qui sont les 2/3 à peu près de la communauté culturelle. 

Mais qu'est-ce qu'un islam de France, c'est un islam 100% compatible avec toutes les valeurs de la République, c'est ça l'idée ?

D'abord, ça serait un islam qui accepte la laïcité, c'est-à-dire qui accepte que les religions sont évidemment libres dans ce pays, mais que ces religions sont libres dans un espace qui est laïque, c'est-à-dire que la République est au-dessus de la religion pour l'organisation de la vie en commun. C'est quand même une idée absolument centrale. Et puis, de l'autre côté, c'est un islam de France, c'est-à-dire qui décide en France avec des Français parlant français. Et donc, on n'est pas effectivement en train de négocier avec un Turc, un Algérien ou un Marocain. 

Justement, c'est intéressant puisque l'une des priorités du Forif, c'est la professionnalisation des imams. Est-ce qu'il faut accélérer sur la formation ? Est-ce que c'est central pour en finir notamment avec l'islam consulaire dont vous parliez ? 

Oui, c'est clair que c'est important parce – soyons clairs – il y a une bataille contre l'islamisme radical. Donc, il y a une bataille politique avec un extrémisme du religieux. Mais cette bataille, une grande partie des musulmans la mènent aussi parce que la plupart des musulmans ne sont pas islamistes.

Cette bataille, comment la mène-t-on au niveau des valeurs ? Et soyons directs, comment la mène-t-on vis-à-vis des jeunes, comment la mène-t-on vis-à-vis des jeunes défavorisés, comment la mène-t-on vis-à-vis des jeunes dans certains quartiers dont on ne s'est pas ou très peu occupé, et vis-à-vis de jeunes à qui on n'a pas donné de perspectives personnelles dans la société française ? On n'a pas été bons.

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