Vacances d'hiver : "La fin du décalage des vacances pourrait être quelque chose de très positif pour les familles, et surtout, ça serait moins inégalitaire", estime Jean Viard

Les vacances d’hiver commencent. Mais partir en vacances devient, pour beaucoup de nos concitoyens, un véritable luxe. Le sociologue Jean Viard est en compagnie de Thomas Séchier.
Article rédigé par Thomas Séchier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Promeneurs en raquette sur les sommets des Vosges, en février 2023. Très peu de Français partent la neige au mois de février, ce sont des vacances qui coûtent cher. (Illustration) (VINCENT VOEGTLIN / MAXPPP)

Les vacances d'hiver ont débuté ce week-end, pour la zone C (Paris, Montpellier, Toulouse). On parle beaucoup de ceux qui partent à la montagne, mais il s'agit en réalité d'une minorité. Très peu de Français partent au mois de février.

franceinfo : Est-ce que les vacances sont devenues un luxe aujourd'hui ?

Jean Viard : Alors il y a deux choses. On n'est jamais beaucoup partis en hiver. Ceux qui partent, c'est 6 ou 7% des Français. On était peut-être un peu plus nombreux aussi, pour une raison, c'est qu'il y a plus de neige. Il y avait de la neige dans des stations plus basses, souvent très simples, avec un remonte-pente, mais ça permettait d'aller à la neige en famille, dans des maisons familiales de vacances, des choses comme ça, or, toute une partie de ces stations ont déjà disparu. Et comme il y a moins de stations, les prix montent, parce qu'effectivement il reste de plus en plus les stations du haut des montagnes, donc il y en a moins, c'est plus cher. Vous avez parfois des séjours à 15 000 € par famille.

Donc des vacances de riches ?

Ça devient des vacances de riches, et ça va l'être de plus en plus avec le réchauffement climatique. Peut-être que les Jeux olympiques des Alpes en 2030, c'est le chant du cygne au fond de la neige. Après, il y a une autre question, c'est : pourquoi on arrête tous les Français, ou tous les enfants de France, parce qu'il y en a 6 ou 7% qui vont à la neige. Moi, ça m'a toujours fait un peu sursauter, parce que les autres, ils vont passer 15 jours devant la télé, alors qu'on dit qu'ils sont trop devant les écrans. Oui, c'est bien gentil, mais si on avait une réflexion sur ce type de temps.

Vous dites : il faudrait supprimer ces vacances de février ? 

Mais moi je dis qu'il faudrait en tout cas arrêter de les étaler. Et c'est pareil pour Pâques. On a besoin de se voir, les familles sont étalées, un Français sur deux ne vit pas dans son département de naissance, pour vous donner qu'un seul chiffre. Donc ça veut dire que forcément, les cousins, les cousines, tout ça, ils ne sont pas au même endroit et les vacances, c'est là où on se rencontre. Quand on étale, on casse ça. Pourquoi ? Au nom de l'économie touristique qui est légitime, donc moi je propose qu'on fasse comme en Italie, qu'on donne une semaine de vacances "italienne" où on peut partir en famille n'importe quand.

Ça veut dire qu'on profite de moments où c'est moins cher, parce qu'il y a un moment il faut donner plus de souplesse, et il faut rassembler en se disant, c'est d'abord le lieu de la famille. 70% des gens partent en vacances en famille. Donc il faut respecter les professionnels, mais il faut donner de la souplesse. Je pense que la semaine "italienne", la fin du décalage des vacances pourrait être quelque chose de très positif, et puis surtout, ça serait moins inégalitaire.

Vous avez regardé les émeutes de juin dernier dans les banlieues, ces gamins qui ont cassé, ils ne partent pas en vacances. Les vacances, c'est devenu un symbole social. C'est le lieu de la liberté, c'est le lieu de l'apprentissage amoureux. Il faut le dire aussi, pour les adolescents, c'est là qu'on se rencontre, etc. Si vous restez dans votre quartier, forcément ça ne vous aide pas tellement à vous intégrer.

Ce qui compte, c'est le voyage, c'est le fait de quitter son domicile, ce n'est pas forcément d'aller très loin ?

Évidemment. Le but, c'est changer de regard sur sa vie. Moi je dirais le voyage, ça intègre. Le voyage ça intègre parce que ça met de la distance avec ma vie habituelle, ça intègre parce que je rencontre l'autre. Il faut défendre le voyage. On est dans une grande guerre climatique. Il faut moins polluer, mais il faut trouver des moyens de voyage moins polluants. Mais il faut surtout défendre le voyage, la découverte de l'altérité, la découverte d'un paysage, de gens, de mœurs, de cuisines... C'est essentiel pour faire humanité.

Historiquement, comment a évolué notre rapport aux vacances ? Est-ce qu'elles sont devenues plus essentielles aujourd'hui, est-ce qu'on en a plus besoin qu'avant ?

Les vacances de masse, c'est récent. Les congés payés, c'est 1936, et jusqu'en 1936, il y avait un peu des élites qui allaient, quand on lit Proust, effectivement à Bath en Angleterre, à Divonne-les-Bains, au bord de la mer, mais c'était une bourgeoisie ou une aristocratie surtout. Les vacances populaires, ça va surtout se développer après la dernière guerre, et ça ne devient majoritaire que dans les années 70/80, ça 40 à 50 ans qu'on a dépassé les 50% de départ en vacances.

Aujourd'hui, on est à près de 80%, mais il y en a 20% qui prennent de courtes vacances, mais c'est déjà important. Ils découchent, et ne vont peut-être qu'à 30 kilomètres deux jours chez la tante, mais déjà c'est un petit déplacement, c'est un petit regard, et regardez comment après quand on revient au travail, on a un rapport très différent, y compris sur son emploi, sur sa vie. Les vacances, il y a, avant de partir, je séjourne et je reviens, et je me dis : comment elle est ma vie ?

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