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Regard sur l'info. "Arsène Lupin nous parle encore" : Arnaud-Dominique Houte

115 ans après sa création, Arsène Lupin séduit les jeunes. L'historien Arnaud-Dominique Houte qui publie chez Gallimard, "Propriété défendue. La société française à l’épreuve du vol. XIXᵉ-XXᵉ siècles", revient sur cette image iconique du gentleman cambrioleur et sur la longue histoire du vol. 

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
A l'occasion de la série "Lupin" avec Omar Sy, Hachette Romans a réédité les aventures d'Arsène Lupin et le livre s'est immédiatement classé en tête des meilleures ventes d'Amazon et Fnac.  (MAXPPP)

L’historien et professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne Université, Arnaud-Dominique Houte, est très intéressé par la série Lupin avec Omar Sy et l’écho mondial qui a suivi sa sortie sur Netflix. Il publie chez Gallimard, le 28 janvier, Propriété défendue, La société française à l’épreuve du vol. XIXᵉ-XXᵉ siècles.

Thomas Snégaroff : La série cartonne sur Netflix, Arsène Lupin qui séduit les jeunes, qu'en pense l'historien ? 

Arnaud-Dominique Houte : Cela faisait un moment qu’on n' avait pas redécouvert le patrimoine du XIXe siècle sous la forme de série. Cela a été très en vogue à une certaine époque, mais ça ne se faisait plus beaucoup. On redécouvre, et ça dit que ce modèle du gentleman cambrioleur, il nous parle encore, ce qui montre que cette longue histoire du vol est une histoire contemporaine.

Alors, ça dit quoi de notre fascination pour une chose pourtant très interdite, le vol ?

Il y a une ambiguïté. D’un côté, on cherche des excuses au voleur, on cherche à l’admirer, mais on se rend compte que depuis le XIXe siècle, on assiste à un durcissement de "l’idéologie propriétaire". On va toujours tomber sur la morale traditionnelle : c’est mal de voler. Dans les premières nouvelles d’Arsène Lupin il vole, mais très vite, c’est davantage l’aventurier qui va être mis en avant. Dans les fictions, les grands brigands ne sont pas représentés comme des voleurs mais comme les restaurateurs d’une bonne propriété. C’est le modèle Robin des Bois.

C’est le vol légitime ?

Exactement, et le vol ne peut être légitime que s’il est explicité comme mettant en question une propriété inégalitaire ou injuste. Alexandre Dumas explique au début du premier livre où il parle de Robin des Bois, il précise qu’il est le propriétaire légitime et qu’il ne veut que récupérer son bien. Il n’est pas voleur.

Structurellement, il y a une sacralisation de plus en plus forte de la propriété et un rejet du vol ? 

J’avais le sentiment que de tout temps le vol a été condamné. Alors l’historien déteste le "de tout temps", je me suis rendu compte que dans notre société, à la fois on va vers une société du partage, que la propriété privée n’est plus la même, qu’on peut emprunter une trottinette etc., mais en même temps, il y a toujours des tas de pubs pour les serrures, les alarmes. Cette ambiguïté j’ai cherché à en retrouver l’origine.

C’est au XIXe siècle, au moment où la société s’enrichit, commence à avoir des biens, on a un moment de réglementation croissant, on dit ce qu’est la propriété privée, et s’impose l’idée que tout le monde peut y avoir accès. Le vol devient inexcusable. Ce discours se popularise à ce moment-là. On reste bercé dans ce discours, même si je dis dans le livre qu’il y a une phase de mise en discussion dans les années 1960-1970, il y a une morale qui change, il y a beaucoup de vols, en pleine période de consommation de masse, l’objet qu’on vole n’est plus irremplaçable et personnel. Malgré tout, on reste héritier de cette pensée du XIXe siècle.

J’ai une pensée pour François Maspero, éditeur et libraire, qui allait volontairement dans la réserve pour permettre aux étudiants désargentés de voler les livres dont ils avaient besoin..

Je ne sais pas si c’est vrai, mais des années plus tard, il a expliqué que c’est à cause de cela qu’il a fait faillite !

Arnaud-Dominique Houte : Propriété défendue. La société française à l’épreuve du vol. XIXᵉ-XXᵉ siècles, Gallimard (28 janvier)

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