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Regard sur l'info. Le récit national au défi des mémoires

Sébastien Ledoux est chercheur en histoire contemporaine et enseignant à Sciences Po Paris. Il travaille sur la mémoire, dans ses divers aspects, et vient de publier "La nation en récit", un livre où il se penche sur nos débats mémoriels. 

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre Jean Castex sur la place de la Concorde à Paris, le 14 juillet 2020. (Illustration) (CHRISTOPHE ENA / AP / AFP)

Sébastien Ledoux, chercheur en histoire contemporaine vient de publier aux éditions Belin, La nation en récit.

franceinfo : Commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon, des 40 ans de l’élection de François Mitterrand, 10 mai en hommage aux victimes de l’esclavage, annonce de la création d’un mémorial des victimes du terrorisme à Suresnes… Hasard ou bien nous vivons un moment particulier de retour de la mémoire ? 

Sébastien Ledoux : Il y a une dimension hasard du calendrier, mais ça dit aussi de notre rapport au passé avec une mémoire écrasante. Cela fait maintenant une trentaine d’années que la mémoire est omniprésente.  

Dans votre livre, vous pointez un tournant dans les années 1970… 

C’est en effet un tournant. Ce qui entre en crise, et on n’en est pas sorti, c’est ce fameux récit providentiel de la nation française que l’Etat voyait avec une destinée particulière, universaliste.

Depuis le XIXe siècle, la France était vue avec un destin unique, destinée à accomplir sur terre le progrès de l’humanité. Et ça, ça vole en éclats, notamment avec la fin de l’empire colonial et l’indépendance de l’Algérie en 1962. La France ne peut plus être vue comme celle qui réalise le destin universel, par exemple, en colonisant. Il y a un "vide narratif". Sauf si on est dans la nostalgie, il est de plus en plus difficile d’embrasser ce récit d’une France avec un destinée pour le progrès humain.  

Dans les années 1970/1980, on a une approche plus réflexive du passé, avec notamment le travail des historiens, pour réfléchir à l’objet Nation. On pense aux Lieux de Mémoires de Pierre Nora, ou au travail d’Henry Rousso, ou Suzanne Citron. Les historiens vont mettre en avant la nécessité de la vérité historique. Ce n’est pas le seul élément. Il y a aussi une histoire à soi. Depuis les années 1970, il y a le désir d’avoir l’histoire de son propre groupe, ou de sa propre lignée, je pense ici à la généalogie qui connaît un engouement. Des individus qui vont raccrocher le passé à leur propre histoire. 

Cette imbrication de toutes les mémoires rend-elle impossible un récit national ? 

Oui, elle l’a complexifié. La fabrique du récit l’est par la juxtaposition de toutes ces mémoires. 

Est-ce que c’est en réponse à cette complexité que l’on voit un retour du récit national, une nostalgie ? 

Depuis les années 2000, il y a eu une très forte réaction captée par des politiques, ou par des essayistes, j’évoque notamment Eric Zemmour ou Patrick Buisson. Une frange de la population est très sensible à ne pas ternir l’image de la Nation et d’en faire un récit de la grandeur nationale perdue.  

La nation en récit de Sébastien Ledoux chez Belin.

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