Obésité : une chirurgie risquée et insuffisamment contrôlée
La chirurgie de l’obésité a explosé en France. En 20 ans, le nombre d’opérations a été multiplié par 20. Cet engouement ne doit pas faire oublier que cette chirurgie est l’une des plus risquées, surtout quand elle n’est pas pratiquée selon les règles des autorités sanitaires.
"La chirurgie de l’obésité doit être régulée, c’est un enjeu de santé publique et de sécurité sanitaire", affirmait la ministre de la santé Agnès Buzyn, le 8 octobre 2019. Entre 1996 et 2016, le nombre de patients opérés de l’obésité a été multiplié par vingt en France. Cette chirurgie a, certes, des bienfaits avérés pour les patients obèses. Mais son essor "pose de sérieuses questions", comme le soulignait en 2018 un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS).
Réduire la taille de l’estomac
Une des techniques de la chirurgie de l’obésité consiste à réduire, par la pose d’un anneau gastrique, la quantité d’aliments ingérés (technique longtemps utilisée mais marginale aujourd'hui). La sleeve gastrectomy permet, elle, de réduire l’estomac en en coupant les deux-tiers. Il existe aussi une technique de plus en plus utilisée : le pontage sur l’intestin (gastric by-pass) pour limiter l’absorption des éléments nutritifs par l’organisme (voir schémas ci-dessous) :
"Ces interventions permettent de perdre entre 20 % et 40 % du poids d’origine dans des délais rapides, explique le professeur Simon Msika, président de la Société française et francophone de chirurgie de l’obésité et des maladies métaboliques (SOFFCOMM). Mais elles permettent surtout de diminuer par deux la mortalité des personnes obèses opérées par rapport à celles qui ne le sont pas", ajoute le professeur. Elles ont également une efficacité sur la régression des maladies liées à l’obésité comme le diabète ou les accidents cardiovasculaires.
"Le changement de vie est phénoménal, explique Isabelle*, opérée d‘un anneau gastrique puis d’un by-pass. On redevient ‘normal’ selon les critères de la société, quand on marche dans la rue et qu’on n’entend plus de réflexion, c’est merveilleux." Selon le professeur François Pattou, chirurgien de l’obésité au CHRU de Lille, "c’est pour toutes ces raisons que la chirurgie bariatrique suscite autant d’engouement."
Des complications très graves si les règles ne sont pas respectées
Mais cette chirurgie n’est pas anodine, "c’est une intervention lourde soumise à des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) qui, si elles ne sont pas respectées, peuvent avoir des conséquences parfois graves pour les patients", poursuit le professeur Pattou. Avant son opération, le patient doit avoir consulté plusieurs spécialistes et avoir bénéficié d’un suivi psychologique pour effectuer un bilan médical complet. Le délai recommandé est de six mois minimum. Un délai trop long pour certains.
En 2018, un rapport de l’IGAS pointait clairement le non-respect de ces préconisations : "En 2016, l’assurance maladie a refusé la prise en charge de 29 % de ces opérations dans une trentaine d’établissements qui les pratiquaient à grande échelle, parce qu’elles n’étaient pas conformes aux recommandations de la Haute autorité de santé."
"De nombreux patients en souffrance et pressés de maigrir après des années de régime, insistent pour être opérés plus rapidement, constate Benjamin Castel, chirurgien de l’obésité à l’hôpital privé de l’Ouest parisien à Trappes. Si on refuse, ils vont au plus offrant, au plus rapide, un peu comme au supermarché." Les plus offrants, ce sont des chirurgiens peu regardants qui acceptent de raccourcir la durée du parcours préopératoire ou qui n’effectuent pas un bilan complet avant d’opérer.
"On va éliminer cette histoire de six mois"
Il n’est pas rare de trouver des personnes qui ont bouclé leur opération en deux ou trois mois. Une jeune femme nous a parlé de quatre membres de sa famille qui étaient obèses comme elle, et qui se sont fait opérer sans effectuer tous les examens préalables. Pour vérifier s’il était facile de se faire opérer en moins de six mois, nous avons pris rendez-vous dans une clinique. Nous nous sommes fait passer pour la sœur d’une jeune femme qui mesure 1m60 et pèse 110 kg et qui souhaite se faire opérer en trois mois. Le chirurgien nous a clairement dit : "On va trouver un système pour éliminer cette histoire de six mois."
Des complications graves et importantes
Or, ce type de contournement des règles peut provoquer des complications pour les patients qui se tournent ensuite vers les hôpitaux et les centres spécialisés de l’obésité. Paolina Blaizot Van Wijk coordinatrice du centre intégré nord francilien de l'obésité (CINFO), confirme en recevoir de nombreux régulièrement : "Comme ils n’ont pas été préparés suffisamment ni suivis, ils arrivent avec des complications graves et importantes." Le constat est le même à l’association Vers un nouveau regard, qui accompagne les patients obèses à Paris : "C’est un fléau, témoigne sa présidente Yolande Pontonnier.
J’ai régulièrement des gens qui m’appellent d’un peu partout en France pour me dire qu’ils ont des complications et qu’on ne les avait pas prévenus, ils se sentent abandonnés.
Yolande Pontonnier
Parmi ces complications figurent les problèmes d’ordre psychologique liés à la modification radicale de l’image du corps du patient. "Cela a des répercussions sur la façon dont la personne se sent avec elle-même, dans ses liens de couple, par rapport à ses enfants, à ses amis, explique Roxane Mallet, psychologue clinicienne et spécialiste des troubles du comportement alimentaire. La chirurgie ne résout pas les problèmes de l’obésité, poursuit-elle, ce n’est pas une baguette magique. La personne qui a été obèse reste plus fragile à vie et peut reprendre du poids."
Addictions et tentatives de suicide
La reprise de poids peut s’accompagner de dépressions ou d’addictions, à l’alcool notamment. "Des patients qui n’avaient pas de problème d’alcool avant se sont mis à boire parce qu’ils ne pouvaient plus manger. Le vide affectif qui était comblé avant par la nourriture, ils l’ont comblé par autre chose", témoigne Roxane Mallet.
Certains font même des tentatives de suicide. C'est ce que constate Christelle Lefebvre, présidente de l’association Ensemble contre les kilos (ASECK), basée dans le Loiret. "Pour deux-tiers des personnes que nous recevons, tout se passe très bien. Mais pour un tiers, ça s’est très mal passé car elles n’ont pas eu le temps de se préparer à l’opération ou n’ont pas été suivies après et elles sont complètement perdues."
Les tentatives de suicide ne sont pas anecdotiques. Elles représentent 3 % des complications qui apparaissent après une opération. "C’est un risque majeur", affirme la docteure Annie Fouad, responsable du département hospitalisation à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM).
Des problèmes neurologiques irréversibles
Le suivi postopératoire est fréquemment défaillant. Un patient sur deux n’est plus suivi cinq ans après s’être fait opérer, selon la CNAM. Or, un patient opéré doit être suivi médicalement à vie, faute de quoi, il risque des complications parfois extrêmement graves, explique Anne-Sophie Joly, présidente du collectif national des associations d’obèses (CNAO) : "Suite à l’opération, on a des carences en vitamines qui peuvent occasionner, dans de rares cas, des problèmes neurologiques irréversibles, parfois jusqu’à la paralysie. Vous terminez en légume parce que votre corps n’a pas eu son carburant."
Le risque est accru pour les femmes enceintes qui, après avoir été opérées, peuvent avoir des carences de vitamine B12. "Manquer de cette vitamine, c’est exposer son enfant à des troubles car elle est importante pendant le développement du nourrisson et son absence peut entraîner de graves anomalies du fœtus", constate Annie Fouad.
Des risques de cancer
Certaines techniques comme le by-pass peuvent provoquer à long terme des cancers, comme celui du côlon. En effet, selon Marc Vertruyen, chirurgien digestif aux cliniques de l’Europe à Bruxelles, "normalement, les aliments doivent passer par l’intestin grêle sur une distance de 6 mètres. Le principe du by-pass est de raccourcir cette distance à 1,2 mètre. Donc il y a toute une série d’aliments qui ne sont pas digérés." Ce sont généralement des graisses et des sucres, ce qui provoque un amaigrissement spectaculaire. "Mais, poursuit-il, le colon n’est pas fait pour recevoir des aliments non-digérés. Les muqueuses peuvent s’altérer."
D’après plusieurs études citées par le chirurgien, on constate une augmentation significative du nombre de cancers du côlon. "Il y a 13 % de risques quand on compare deux populations d’obèses – ceux qui ont été opérés du by-pass et ceux qui ne l’ont pas été, explique-t-il. Donc on peut se retrouver d’ici quelques années avec une catastrophe épidémiologique."
Lorsqu’on modifie la trajectoire de digestion, et qu’on joue à l’apprenti sorcier, il faut s’attendre à ce genre de risques.
Marc Vertruyen
"C’est une chirurgie relativement récente, et on ne sait pas à long terme ce que ça peut donner", confirme la docteure Annie Fouad, de la CNAM, qui a participé à une étude publiée dans The Lancet en août 2019. Selon Philippe Azimour, directeur général de Branchet, l’assureur numéro un des chirurgiens et des anesthésistes, "la chirurgie de l’obésité est l’une des plus risquées, avec la chirurgie orthopédique. Le nombre de personnes qui ont porté plainte n’a cessé d’augmenter jusqu’en 2016-2017." Près de 15 % de ces plaintes concernent des décès.
250 établissements pourraient ne plus opérer
Une des raisons du manque de suivi tient au fait que les frais de compléments alimentaires, de vitamines, de diététicien et de psychologue ne sont pas remboursés. "Cela coûte cher pour les personnes obèses, majoritairement issues des milieux sociaux les plus défavorisés", explique le professeur Sébastien Czernichow, chef du service de nutrition à l’hôpital Georges Pompidou à Paris. Une expérimentation doit avoir lieu dans plusieurs centres spécialisés. Les dépenses liées à ce suivi seront remboursées, à condition que les patients honorent tous leurs rendez-vous.
De son côté, le gouvernement a décidé, pour mieux encadrer la chirurgie de l’obésité, de soumettre à autorisation les établissements qui la pratiquent. "Un seuil d’activité sera déterminé", précise Sylvie Escalon, directrice adjointe à la direction générale des offres de soins (DGOS) au ministère de la santé.
Une mesure nécessaire selon le professeur François Pattou, du CHRU de Lille : "On ne peut pas imaginer qu’une prise en charge soit optimale dans un centre qui fait deux ou trois opérations par an. À moins d’une opération par semaine, l’établissement n’est pas dans la situation où il peut assumer les cas faciles et les cas plus complexes." Selon le professeur Simon Msika, président de la SOFFCOMM, la Société française et francophone de chirurgie de l’obésité et des maladies métaboliques, "la mortalité dans les centres qui font moins de 50 opérations par an est nettement supérieure – trois fois plus – que dans les centres qui en font plus de cinquante." Si le seuil de 50 interventions était retenu, 250 établissements, sur les 500 qui pratiquent cette chirurgie, n’auraient plus l’autorisation de le faire. Une petite révolution.
* Le prénom a été modifié
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