Cet article date de plus de sept ans.

Si j'étais... Yahya Jammeh

Karl Zéro se met dans la peau de Yahya Jammeh, l'ancien chef d'Etat gambien battu lors des dernières élections il y a deux semaines, mais qui refuse de quitter le pouvoir.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Karl Zéro s'imagine ce matin à la place de Yahya Jammeh (ISSOUF SANOGO / AFP)

Si j’étais Yahya Jammeh, vous me connaîtriez mal, et vous auriez sans doute raison, car je gagne à être méconnu ! Je suis le Président Elu de la Gambie depuis le 18 octobre 1996, quatre fois triomphalement réélu sans discontinuer depuis, et ce jusqu’au 1er décembre dernier. Ce jour, maudit entre tous, et à ma grande stupeur, un opposant, un bandit du nom de Adama Barrow -sans doute un lointain descendant de Bonnie and Clyde Barrow- m’a coiffé au poteau de l’élection présidentielle gambienne.

Et là, si j’étais Yahya Jammeh, au lieu de nier cette victoire, par définition discutable puisqu’elle n’est pas la mienne, j’ai contre toute attente stupidement reconnu ma défaite. Je ne sais pas ce qui m’a pris, un coup de fatigue sans doute -j’ai 22 femmes- car s’avouer vaincu est évidemment contraire aux règles les plus élémentaires de la politique africaine. Aucun président africain ne perd jamais une élection. Au mieux, il fait recompter les voix et il est reconduit, au pire il s’énerve et on fait une guerre civile. Mais en aucun cas, jamais, on ne quitte le pouvoir. Fort heureusement, je me suis ressaisi il y a deux jours et j’ai annoncé que tout bien réfléchi, je restais. J’ai donc introduit un recours auprès de la Cour Suprême qui -comble de la malchance - ne compte plus aucun juge, puisque je les ai tous congédié en 2015. Elle siègera donc quand on en aura élu, et d’ici là, je m’incruste.

Moi, tué comme Khadafi ?

L’ONU m’a a enjoint, moi, Yahya Jammeh, de "respecter le choix du peuple souverain de Gambie". Mais c’est exactement ce que je fais. Au fond de lui-même, le peuple souverain de Gambie regrette amèrement son vote. Donc il va revoter. Donald Trump, lui, s’est fendu à mon égard d’un tweet dont les termes sont nettement moins diplomates : "Yahya, le fauteuil présidentiel n'est pas une propriété familiale. Si tu rejettes les résultats tu seras tué, comme Khadafi". "Tué comme Khadafi". Ça Donald, il y a peu de risques, vu que Sarkozy est parti en retraite !

Non, sérieusement, si j’étais Yahya Jammeh, je ne vois pas pourquoi je bougerais de là, même pour faire plaisir à MC Solaar. J’ai tant fait pour les Gambiens. Oh, je sais, je lis ce que dit de moi Jeune Afrique et autres torchons : "Assassin d’opposants et de journalistes", "Prédateur de toute liberté de la presse"… J’ai déjà répondu à ça : "Ban Ki-moon et Amnesty International peuvent aller rôtir en enfer ! Qui sont-ils pour nous imposer leurs Droits de l’Homme chez nous ? Où est le problème ? Des gens qui meurent en détention ou pendant un interrogatoire, c’est très commun ! Personne ne me dira quoi faire dans mon pays".

Je chasse les homosexuels et soigne toutes les maladies

Je ne sais pas pourquoi je continue à traduire ces citations, vu que l’anglais, langue officielle de Gambie, je l’ai supprimée en 2014 pour la remplacer par l’arabe, afin d’établir une transition en douceur vers une République Islamique de Gambie. De même que j’ai quitté le Commonwealth, parce que j’avais remarqué que beaucoup d’anglais et d’anglophiles étaient homosexuels. Le 15 mai 2008, j’ai donc exigé que tous les homosexuels quittent la Gambie. Et le 17 mai 2015, j’ai annoncé que je ferai égorger tous les homosexuels qui souhaiteraient se marier. Ah, voilà, vous comprenez mieux pourquoi les Gambiens m’aiment, et me respectent tant. D’autant plus que je suis un grand savant: saviez-vous que je peux guérir le sida, l’asthme et l’hypertension artérielle grâce à des décoctions de plantes médicinales de mon invention ? Mes ministres en ont attesté, je les ai tous guéris ! Et, depuis j’ai changé de nom, il faut m’appeler "Professeur El Hadj Docteur Yahya Abdul-Aziz Jemus Junkung Nasiru Den Jammeh".

Je vous l’avais dit : "Je gagne à être méconnu !" Mais je me plais bien ici, je repasserai. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.