Présidentielle en Turquie : le principal opposant à Recep Tayip Erdogan fait un carton sur les réseaux sociaux en brisant un tabou sur sa foi
Il est filmé en bras de chemise, tenue décontractée, dans son bureau, au milieu des livres. Kemal Kiliçdaroglu a posté cette vidéo le 19 avril au soir à l’approche de la fin du Ramadan, d’abord sur YouTube puis ensuite sur tous les supports, Twitter, Instagram, TikTok, etc. Cinq jours après, la vidéo approche les 110 millions de vues, un score digne de pop stars ou d’influenceurs vedettes, dans un pays de 85 millions d’habitants.
Pourquoi une telle viralité ? Parce que dans cette vidéo, Kemal Kiliçdaroglu brise un tabou pour la Turquie : il reconnait publiquement sa confession. Il est alevi, une branche minoritaire de l’islam, rattaché au chiisme. "Je suis alévi", lâche le candidat de l’opposition au bout de 45 secondes, après avoir annoncé, au début de la vidéo, son intention de parler d’un "sujet particulier et sensible". Et il poursuit : "je suis un musulman sincère (…) je veux mettre fin aux disputes confessionnelles qui ont fait souffrir la Turquie (…) on ne parlera plus de séparations mais de rêves communs". La vidéo a été saluée par tous les dirigeants de l’opposition qui y voient un acte courageux et un geste de réconciliation.
Une branche très minoritaire de l'Islam
C’est un acte courageux parce que les Alevis sont très minoritaires en Turquie, seulement cinq millions de personnes. Par le passé, ils ont été souvent ostracisés, et même visés par des attentats. Les sunnites les plus conservateurs les regardent comme des hérétiques. La tradition alevi défend un Islam de réflexion et de tolérance, où les prières sont mixtes : hommes et femmes se recueillent ensemble dans une maison commune de prière. Une diplomate qui connait bien la Turquie nous confiait il y a quelques semaines douter de la capacité de Kemal Kiliçdaroglu à l’emporter, précisément parce qu’il est alevi.
Le président sortant Recep Tayip Erdogan, qui brigue un nouveau mandat après déjà 20 ans au pouvoir, s’appuie sur les musulmans les plus conservateurs et souffle sur les braises des divisions religieuses. En assumant son appartenance à une branche minoritaire de l’islam, Kemal Kiliçdaroglu pose un acte de maturité politique qui prend de cours le président sortant. Recep Teyip Erdogan ne pourra plus lancer d’allusion perfide à la foi de son adversaire. Il s’est donc contenté de réagir en disant: "Pourquoi as-tu attendu d’avoir 74 ans pour avouer ton appartenance religieuse ?"
Cinq points d'avance sur Erdogan dans les sondages
À trois semaines du scrutin, Kemal Kiliçdaroglu fait toujours la course en tête dans les sondages d'intentions de votes. Son avance a un peu diminué mais il est crédité en moyenne de cinq points de plus que le président sortant. La clé du scrutin réside en partie dans le comportement des plus jeunes : il y aura six millions de nouveaux électeurs le 14 mai. Beaucoup sont touchés par le chômage et l’inflation. Ça devrait profiter à l’opposition. Mais en Turquie, les sondages sont d’une fiabilité relative. Et le président Erdogan, plus charismatique que son opposant, va tout faire pour tendre le climat électoral. Les incidents se multiplient au fil des jours et Kemal Kiliçdaroglu a dû renoncer à plusieurs déplacements. Mais tout de même, la viralité de cette vidéo dit quelque chose.
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