Baisse des émissions de gaz à effet de serre en 2023 : "Cela va être compliqué de maintenir un tel rythme dans les prochaines années", prévient François Gemenne
Quand on parle de climat, on est souvent contraint d’annoncer des mauvaises nouvelles. Mais l'an dernier, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 5,8%.
François Gemenne : C'est effectivement c’est une très bonne nouvelle pour le climat, je ne vais pas vous dire le contraire. C’est un chiffre qui est meilleur que prévu, et qui est même meilleur que la précédente estimation. On est passé de 396 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2022 à 373 millions de tonnes en 2023. Et on comprend bien que le gouvernement veuille mettre ce chiffre à son actif, évidemment, c’est de bonne guerre – d’autant plus que les émissions sont en baisse continue en France depuis 2017, il faut le dire.
Ce n’est bien évidemment pas uniquement grâce aux politiques du gouvernement. Mais précisément, c’est la très, très bonne nouvelle du rapport : les émissions sont en baisse dans tous les secteurs, grâce à des changements de consommation, grâce à l’action des entreprises, et aussi grâce à certaines politiques mises en place.
Baisses sensibles dans l'énergie et le bâtiment
Il y a d’abord une grosse baisse dans le secteur de l’énergie, qui s’explique largement par le redémarrage de plusieurs réacteurs nucléaires qui étaient à l’arrêt en 2022, mais aussi par la montée en puissance des énergies renouvelables, notamment de l’éolien. Et donc on a eu beaucoup moins recours aux centrales au gaz et au charbon. Et la cerise sur le gâteau, c’est que notre consommation d’électricité a également baissé de 3% : dans le secteur de l’énergie, on a donc combiné efficacité et sobriété. Résultat : les émissions des industries de l’énergie sont retombées en 2023 à leur niveau de 1990, 35 millions de tonnes de gaz à effet de serre.
Autre secteur qui impressionne en 2023 : le bâtiment, grâce à une baisse spectaculaire dans les émissions liées au chauffage. Là, encore, on retombe au niveau de 1990. Il y a l’effet de la météo, mais pas uniquement. En 2014, qui est la seule année où on avait enregistré des baisses comparables à celles de cette année, c’était clairement la météo. Cette année, il y a aussi d’autres facteurs, à commencer par l’inflation : les prix de l’énergie sont restés très hauts, ce qui nous a incités à moins chauffer. Et ça prouve au passage que le signal prix fonctionne : nous avons tendance à limiter nos émissions si ça nous permet de faire des économies. Et puis il y a aussi eu, il faut le dire, l’effet des politiques incitant à la rénovation des bâtiments, à l’installation de pompes à chaleur, et les campagnes d’incitation à la sobriété, qui avaient été lancées en 2022 après l’invasion de l’Ukraine. Ce sont des changements de comportements qui s’installent.
Les transports à la traîne
Dans l’industrie aussi, les choses changent, avec une baisse des émissions de près de 9%, et d’énormes progrès notamment dans l’industrie du ciment, de l’acier et de la chimie. Et je sais, pour les voir très régulièrement, qu’il y a plein de gens dans ces secteurs qui travaillent quotidiennement à décarboner les processus industriels, et donc c’est vraiment réjouissant de voir que ces actions portent leurs fruits, bravo à eux.
"Même dans l’agriculture, ça baisse ! C’est moins spectaculaire, mais quand même : -1,6%. Un peu moins de bovins, un peu moins d’engrais, et un peu plus de méthaniseurs..."
François Gemennesur franceinfo
Reste les transports. C'est le premier secteur d’émissions, avec quasiment un tiers du total national. On est en baisse de -3,4%. Alors, certes cela baisse aussi, mais on pourrait, on devrait faire beaucoup mieux, en particulier sur le transport routier, qui représente la grosse majorité des émissions de ce secteur. Et la baisse s’explique par les prix élevés des carburants, mais aussi grâce au déploiement des véhicules électriques, au vélo en ville et au covoiturage. C’est pour ça qu’il faut s’inquiéter de la baisse actuelle des ventes de voitures électriques.
Dans le transport aérien, il y a également des bonnes nouvelles. Une baisse des émissions de 3,4% sur le trafic domestique : c’est l’effet de l’interdiction des vols très courts. Et sur le trafic international, la croissance post-Covid continue, mais on reste 15% en dessous du niveau de 2019.
Le rythme sera difficile à maintenir
La France n'est n’est pas la seule à baisser ses émissions. Les Etats-Unis commencent enfin à baisser : -2%. Le Royaume-Uni vient de publier des chiffres comparables aux nôtres : -5,7%. Et l’Allemagne, qu’on aime tant brocarder, a baissé ses émissions de… 10% en 2023.
"Tout cela veut dire qu’on peut y arriver, et c’est important de s’en convaincre !"
François Gemennesur franceinfo
Mais il y a quand même deux problèmes : nos forêts absorbent de moins en moins de carbone. C’est un puits de carbone de moins en moins important, en raison des sécheresses, des maladies des arbres et des coupes de bois. Donc ça veut dire qu’il va falloir baisser davantage dans d’autres secteurs, parce qu’on ne va plus pouvoir compter autant qu’avant sur les forêts pour absorber notre surplus.
L’autre problème, c’est qu’on s’est fixé une trajectoire linéaire, avec le même objectif chaque année jusqu’en 2030. Mais qu’il y a des émissions plus faciles à réduire que d’autres, et qu’on commence évidemment par les plus faciles : dans le secteur de l’énergie, par exemple, cela va être compliqué de maintenir un tel rythme de baisse dans les prochaines années. Donc il faudrait qu’on ait des baisses beaucoup plus marquées dès à présent, parce que le début est plus facile que la fin… La trajectoire linéaire est une illusion.
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