COP 28 : "C’est bien le début de la fin des énergies fossiles qui a été acté", explique François Gemenne
Mercredi 13 décembre un accord a été trouvé entre les près de 200 pays participants à la COP 28 à Dubaï. Après deux semaines de négociations, le texte final appelle à une "transition hors des énergies fossiles" pour lutter contre le réchauffement climatique. Ce texte vise à accélérer l'action "dans cette décennie cruciale, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050".
franceinfo : est-ce que cet accord est vraiment historique, comme on l’entend beaucoup ?
François Gemenne : C’est toujours compliqué de juger du caractère historique d’un moment sans avoir le moindre recul sur ce moment, mais effectivement, le sentiment qui dominait à Dubaï, au moment où la COP28 se refermait, c’était celui d’une grande satisfaction à la lecture du texte de l’accord, qui était indéniablement plus ambitieux que le premier brouillon qui avait été proposé par la présidence. Et ces réactions contrastaient évidemment avec celles qu’on entendait en France, et qui pointaient une mascarade, un accord anachronique, une arnaque de pure communication.
Comment est-ce que vous expliquez ce contraste ?
Je pense que tout vient d’un grand malentendu quant au statut des accords conclus lors des COP. Beaucoup imaginent qu’il s’agit d’accords juridiques, contraignants, qui vont engager les gouvernements sur des objectifs chiffrés et des calendriers, avec des sanctions à la clé. Et donc, si l’on attend que les COP produisent ça, évidemment, on va être déçu et on va considérer que tout ça ne sert à rien. Parce que ce n’est pas un accord à la COP, aussi réussie que soit cette COP, qui va faire baisser les émissions à lui tout seul. On l’a d’ailleurs bien vu avec l’accord de Paris : les émissions n’ont pas baissé après l’adoption de l’accord, ça ne se fait pas comme ça.
L’objectif des COP, c’est d’essayer de faire converger les positions des différents pays vers une trajectoire commune. Et ces différents pays, évidemment, partent de points de départ très différents, n’ont pas les mêmes contraintes, ni les mêmes ressources naturelles, les mêmes régimes politiques ou niveau de développement économique. Et certains pays sont même en guerre ouverte avec d’autres. C’est pour ça que l’accord obtenu à la COP 28 est un tour de force : parce qu’il parvient à faire converger tout le monde vers une trajectoire commune. Et cette trajectoire, c’est une trajectoire de sortie des énergies fossiles, c’est celle d’un monde post-carbone.
Le texte ne parle pas d’une sortie des énergies fossiles, mais de "transition hors des énergies fossiles"...
Formulation qui est un peu difficile à traduire, d’ailleurs… Mais là encore, il faut bien comprendre que c’est bien de sortie qu’il s’agit. Simplement, le terme de "sortie", écrit comme tel, était une ligne rouge infranchissable pour certains pays. Et donc on a trouvé une paraphrase, assez habile du reste, pour éviter que ces pays ne perdent la face et ne bloquent l’accord. Mais politiquement, c’est bien le début de la fin des énergies fossiles qui a été acté.
"L'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (l'OPEP), avait transmis à ses membres une lettre leur demandant de ne pas approuver l’accord, et ses membres ont quand même approuvé l’accord : c’est un tournant fondamental."
François Gemennesur franceinfo
L’accord prévoit quand même beaucoup d’échappatoires, notamment en permettant le recours à des technologies de capture du carbone, qui permettraient de continuer malgré tout à brûler des énergies fossiles…
Bien sûr. Il y a des concessions qui ont été faites ici-là, des lacunes, des échappatoires, des faiblesses. Et si vous avez une lecture juridique du texte, ça va vous sauter aux yeux, évidemment. Mais je crois qu’il faut en avoir une lecture politique. Quand vous êtes l’Union européenne, que vous n’avez pas de pétrole ni de gaz et presque plus de charbon, c’est facile de dire qu’il faut sortir des énergies fossiles. Mais si ces énergies sont votre principale ressource économique, ou si vous comptez dessus pour assurer votre développement, c’est beaucoup plus compliqué. Et c’est pour ça que c’est un tournant fondamental : parce que tous les pays, même ceux-là, intègrent aujourd’hui l’idée que la fin des énergies fossiles est programmée.
On ne va pas fermer les puits de pétrole pour autant ?
Non. En tout cas pas tout de suite. Et on aurait d’ailleurs bien du mal à se passer du pétrole dans l’immédiat, ne soyons pas hypocrites. Par contre on envoie un signal fort aux marchés, aux industries et surtout aux investisseurs, on donne une direction. Et c’est comme ça qu’on progresse, parce que les COP sont un processus itératif : chaque année, il s’agit de faire davantage converger les pays vers un avenir commun, parce que notre futur climatique dépend évidemment de l’action collective – nous sommes tous liés les uns aux autres par la physique du climat. Et malgré tout, on progresse.
"Au moment de l’accord de Paris, on était encore sur une trajectoire d’une hausse de la température de 4°C environ. Aujourd’hui on est sur une trajectoire à 3°C."
François Gemennesur franceinfo
On ne touche pas encore au but, mais on progresse.
Donc on ne peut pas dire que les COP ne servent à rien ?
On aime bien taper sur les COP, mais c’est une posture qui est souvent un peu populiste. La réalité c’est qu’on aime bien brocarder la coopération internationale, mais on en a absolument besoin, par définition. Simplement il ne faut pas en attendre davantage que ce qu’elle peut donner : l’ONU n’est pas un gouvernement supranational, simplement une organisation qui essaie de faire travailler ensemble des gens très différents qui doivent absolument coopérer. Et dans un contexte international aussi morcelé, dans un monde aussi divisé, cet accord reste un petit miracle diplomatique, qui doit nous engager à avancer plus vite.
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