Environnement : "Votre épargne finance des projets d’extraction de charbon, de pétrole ou des projets de déforestation", avertit François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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"Notre économie reste largement ancrée dans les énergies fossiles" et "l'épargne finance donc ces projets" explique François Gemenne. Photo d'illustration. (VIAFRAME / STONE RF/ GETTY IMAGES)

François Gemenne s'intéresse à l'épargne des Français. Le problème, selon lui, "c’est que notre économie reste largement ancrée dans les énergies fossiles, donc votre épargne finance aussi des projets d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz, ou des projets de déforestation". Partant du constat que les montants de l'épargne privée en France sont estimés "entre 4 000 et 6 000 milliards d’euros", il suggère plutôt d'investir cet argent dans la transition énergétique.

François Gemenne : Je suis certain que vous faites déjà plein de choses pour réduire votre empreinte carbone : les transports en commun, les circuits courts, l’alimentation, le ré-emploi, etc. Mais vous n’avez peut-être pas pensé à votre argent. Alors qu’en fait, pour peu que vous ayez un peu d’épargne, c’est là que se trouve certainement une bonne part de votre empreinte carbone.

Le but de l’épargne, d’un point de vue macro-économique, c’est de financer l’économie, en échange d’une rémunération pour l’épargnant. Le problème, c’est que notre économie reste largement ancrée dans les énergies fossiles, donc votre épargne finance aussi des projets d’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz, ou des projets de déforestation.

"Je suis prêt à parier que la plupart des épargnants n’ont aucune idée de ce que leur argent finance."

François Gemenne

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Et que s’ils le savaient, je pense même que pas mal d’entre eux ne seraient pas d’accord que leur argent serve à ça.

franceinfo : Que pouvons-nous faire ?

On peut évidemment changer de banque, et il y a d’ailleurs des banques durables qui apparaissent sur le marché, mais ce n’est pas toujours évident. Et puis, les banques traditionnelles évoluent aussi. Par exemple, à la fin de l’année dernière, le Crédit Agricole a annoncé son intention de ne plus financer de nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles, suite à la COP28. Mais ces projets vont trouver des financements ailleurs. On peut supposer que c’est une des raisons pour lesquelles TotalEnergies annonce son intention d’avoir sa cotation principale à la bourse de New York, parce que les actionnaires européens veulent vendre leurs actions et n’en achètent plus.

Mais aujourd’hui je voudrais surtout vous parler de ce que votre argent pourrait financer, et pas uniquement de ce qu’il pourrait ne pas financer. Parce qu’on va avoir besoin d’énormément d’argent pour financer la transition et qu’on voit bien que les poches des gouvernements sont vides, et qu’on commence déjà à tailler dans les budgets, alors qu’il faudrait les décupler. Or, l’épargne privée en France, ça représente énormément d’argent. On estime les montants entre 4 000 et 6 000 milliards d’euros. 

"Rien que l’assurance-vie, qui est le produit d’épargne préféré des Français, c’est 1 800 milliards d’euros."

François Gemenne

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En comparaison, le PIB annuel de la France tourne autour de 2 600 milliards d’euros.

C’est gigantesque ! Imaginez qu’une fraction de cet argent soit investie dans la transition, ça permettrait de faire de grandes choses. Alors, comment faire ? Il y a d’abord les fonds qui portent le label ISR, pour "Investissement Socialement Responsable", et qui sont proposés par toutes les banques. Le problème, c’est que jusqu’à la fin de l’année 2023, on trouvait un peu n’importe quoi, et notamment beaucoup de greenwashing, derrière ce label. Le ministère de l’Économie a mis un peu d’ordre dans tout ça au début de cette année, mais les fonds ISR restent mal connus et mal aimés. Les Français s’en méfient souvent, sont mal informés, pensent qu’ils rapportent moins que les autres, etc. 

"La première priorité est de mieux informer et d'être plus transparent avec les épargnants – toutes les banques devraient s’engager dans cette voie."

François Gemenne

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Mais il y a aussi des choses que le gouvernement peut faire.

Par exemple ?

Je vous donne deux exemples. Jadis, beaucoup de projets d’utilité publique étaient financés par des souscriptions publiques : des monuments ou des lignes de train, notamment. On pourrait imaginer que des projets locaux pour la transition, en matière d’énergie, de transport, de logement, puissent être à nouveau financés par ce moyen, par exemple via l’émission d’obligations. Mais pour ça, il faudrait que les départements et les grandes villes puissent avoir accès au marché obligataire. Pour le moment, seules les régions y ont accès, et elles ne mobilisent pas beaucoup ce moyen.

"Une autre idée serait de moduler les droits de succession."

François Gemenne

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 La génération des boomers va transmettre énormément de biens immobiliers à ses enfants et petits-enfants : des maisons, des appartements, des studios… Ne pourrait-on pas imaginer de réduire les droits de succession si les boomers font procéder à une rénovation énergétique de leur bien avant de le transmettre ? Je suis sûr qu’on pourrait trouver les milliards qui manquent à la rénovation des logements, comme ça. Et ce serait une bonne manière de faire de la compensation carbone des émissions passées, aussi.

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