Mediator : "Tourner la page sera compliqué pour les victimes" après la mort de Jacques Servier
Le président et fondateur des laboratoires Servier, 92 ans, est mort mercredi 16 avril. Deux enquêtes étaient en cours sur sa responsabilité dans le scandale sanitaire du Mediator.
Il y aura un grand vide au coeur du procès du Mediator, qui devait se tenir en 2015. Jacques Servier, le fondateur et président du laboratoire du même nom qui commercialisait le médicament, est mort le 16 avril.
Le Mediator, un antidiabétique prescrit comme coupe-faim jusqu'à son retrait du marché en 2009, serait reponsable de 2 100 décès. 4400 personnes ont porté plainte contre le laboratoire. Deux enquêtes sont en cours, une pour "homicide et blessures involontaires", l'autre pour "tromperie, escroquerie et trafic d'influence".
La mort de Jacques Servier ne devrait au pire que retarder la tenue du procès. Mais quelles conséquences pour les plaignants, durement éprouvés par une longue procédure depuis le déclenchement de l'affaire en 2009, et qui attendaient les explications de Jacques Servier ? Caroline Nicot, psychologue clinicienne au sein de l’Adaj (Association départementale d’aide au justiciable), en Haute-Marne, qui aide notamment plusieurs plaignants dans l’affaire du Mediator, revient pour francetv info sur l'impact psychologique de cette disparition.
Comment les plaignants dans l’affaire du Médiator peuvent-ils vivre le décès de Jacques Servier, et le fait qu’il ne sera jamais condamné ?
Caroline Nicot : Les victimes du Mediator avaient déjà un sentiment d’impuissance, celui de faire face à une grosse machine, d'autant que la procédure judiciaire a été longue dans cette affaire. Leur déception sera sans doute assez massive, comme quand une affaire est classée sans suite, même si les raisons ne sont pas les mêmes.
Ici, il y aura bien un procès, et c’est très important. Mais tourner la page sera compliqué pour les victimes. La question du “pourquoi” restera en suspens. Je ne suis pas sûre que Jacques Servier aurait donné énormément de réponses, il n’était pas dans cette posture. Mais pour faire le deuil, il est toujours plus facile de se dire qu’il a refusé de s'expliquer, plutôt que de ne pas savoir.
Est-ce que la condamnation d’une personne morale, comme le laboratoire Servier, est aussi satisfaisante pour les victimes que la condamnation d’une personne physique ?
Tout dépend de la façon dont les victimes sont accompagnées. Si elles arrivent au procès avec un désir de vengeance - “il faut qu’il paye, il faut qu’il souffre autant que j’ai souffert”, ce qui est la position classique des victimes qui ne sont pas aidées - la condamnation d’une personne morale ne répondra à leur besoin. Tandis que ce sera le cas si une personne physique est condamnée : elle va faire de la prison, payer une amende, en tout cas “payer”. Je pense que c’est un fait de société aujourd’hui : pour chaque affaire, il faut un responsable identifié, on n’envisage plus la responsabilité partagée. Ce qui est un leurre.
Quand les victimes ont eu le temps de cheminer psychologiquement, c’est différent. Elles arrivent avec des attentes qui sont en adéquation avec ce que la justice peut apporter. Du coup, pour elles, que l’on condamne une personne morale ou physique ne change pas grand chose.
Dans un dossier où l’accusé principal est très âgé, comme l'était Jacques Servier qui avait quand même 92 ans, est-ce que les victimes craignent que la personne décède avant d'avoir pu être jugée ?
Oui, c’est quelque chose que j’ai pu entendre dans d’autres affaires : “J’espère que ça va aller vite, parce qu’il est déjà âgé et je veux qu’il y ait un procès”. Il y a clairement une hantise du décès. Il faut penser à l’investissement psychologique qu’un procès comme celui-ci demande aux plaignants, ils ont mobilisé beaucoup d’énergie. Et là, c’est une grande partie de cette énergie qui s’écroule. Pour beaucoup de victimes, il risque d’y avoir un moment de vide.
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