Cinq questions sur le projet de rachat de Carrefour par le géant canadien Couche-Tard
Couche-Tard a annoncé mercredi s'intéresser au groupe français. Un éventuel rachat pourrait donner un coup d’accélérateur à la transformation de Carrefour. Toutefois, le gouvernement français semble s'y opposer.
Carrefour pourrait-il passer sous pavillon étranger ? Le Canadien Couche-Tard, groupe de distribution alimentaire et de carburants a "récemment soumis à Carrefour une lettre d'intention non engageante en vue d'un rapprochement amical", selon un communiqué publié mercredi 13 janvier. Le groupe a proposé un prix de 20 euros par action, ce qui valoriserait le distributeur français à plus de 16 milliards d'euros, et ce, sans compter une dette de plusieurs milliards d'euros que devrait également reprendre le groupe canadien.
Toutefois, le projet, encore à l'étape des négociations, ne plaît pas à certains membres du gouvernement français. Franceinfo fait le point sur les questions posées par ce dossier.
1Qui est ce groupe canadien ?
Le groupe de distribution alimentaire et de carburants est né au Québec en 1980. Couche-Tard est spécialisé dans ce qu'on appelle au Québec les "dépanneurs", supérettes ouvertes jusqu'à très tard, parfois adossées à des stations-service. On peut y trouver de l'essence, des produits alimentaires, des journaux ou encore des cigarettes.
Le groupe, qui compte plus de 130 000 employés dans le monde (contre 320 000 pour Carrefour), s'est établi aux États-Unis au début des années 2000, en Europe du Nord en 2012 puis sur le marché asiatique fin 2020 via de multiples acquisitions externes. Couche-Tard possède aujourd'hui un réseau de plus de 14 000 commerces, également exploités sous diverses autres enseignes, dont Circle K, Corner Store, Holiday, Ingo ou Mac's.
Le groupe a enregistré, sur son dernier exercice annuel (2019-2020), un chiffre d'affaires de 44,5 milliards d'euros. Sa capitalisation boursière atteignait environ 30 milliards d'euros mercredi.
2Pourquoi le géant canadien s'intéresse-t-il à Carrefour ?
Si Couche-Tard est habitué aux acquisitions, "ça n'a jamais été des fusions de cette taille", observe Clément Genelot, spécialiste du secteur de la distribution à la banque d'investissement Bryan, Garnier & Co. Pour Couche-Tard, l'opération représenterait d'abord l'opportunité d'accroître son maillage géographique. Contrairement à Carrefour, le groupe canadien est aujourd'hui peu présent en Europe, hormis les pays scandinaves (Norvège, Suède et Danemark), les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie), l'Irlande, la Pologne et la Russie, avec plus de 2 700 commerces.
L'opération lui permettrait également de diversifier ses sources de revenus, alors que l'essor de la voiture électrique menace à terme ses ventes de carburants. Par ailleurs, pour ce groupe surtout spécialisé dans la supérette, ce serait l'opportunité d'investir le marché des très grandes surfaces.
3Quelle est la position de Carrefour ?
Pour l'instant, le distributeur français a indiqué, dans une communication interne que l'AFP a pu consulter mercredi, qu'il allait "examiner le projet" pour savoir s'il est dans son intérêt. "Plusieurs conditions déterminantes devront être satisfaites", a-t-il précisé, notamment "permettre une accélération du développement du groupe", "avoir du sens pour l'ensemble de ses parties prenantes, en particulier les collaborateurs du groupe, et être créateur de valeur".
Pour Carrefour, ce rachat pourrait donner un coup d’accélérateur à sa transformation initiée par Alexandre Bompard, son PDG, il y a trois ans, estime la journaliste de franceinfo Fanny Guinochet. "Carrefour a été réorienté sur l’alimentation saine et l’e-commerce pour faire face aux chaînes discount et aux plateformes en ligne, comme Amazon, mais ce positionnement demande beaucoup d’argent que le Français n’a pas. Or, Couche-Tard se dit prêt à investir des milliards d’euros pour accélérer cette modernisation, il se dit prêt aussi à reprendre la dette de Carrefour", analyse-t-elle.
4Comment réagit le gouvernement ?
L'Etat a un droit de veto sur les rachats et les investissements étrangers quand ils concernent des secteurs stratégiques, comme la défense, le nucléaire, mais aussi l’alimentation. Or pour le moment, le gouvernement se montre hostile au projet. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a rappelé dès mercredi sur France 5 le rôle de Carrefour comme "chaînon essentiel dans la sécurité alimentaire des Français, dans la souveraineté alimentaire".
"Le jour où vous allez chez Carrefour, chez Auchan, et qu'il n'y a plus de pâtes, plus de riz, vous faites comment ?"
Bruno Le Maire, ministre de l'Economiesur France 5
De son côté, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, s'est également dite opposée à ce rachat, dans une interview, jeudi, sur Europe 1. "La stratégie de Carrefour, qui est de faire travailler les producteurs locaux, les agriculteurs locaux, est quelque chose dont on a pu voir l'importance dans la crise sanitaire" causée par le coronavirus, a-t-elle insisté.
5Pourrait-il y avoir des conséquences pour les salariés de Carrefour ?
Il est trop tôt pour le dire, mais c'est ce que craignent certaines personnalités politiques. "La casse sociale, c'est un vrai problème. Si l'acquisition proposée par le Canadien aboutit à une casse sociale, il faut refuser", s'est inquiété Bruno Retailleau, chef de file des Républicains au Sénat, au micro de franceinfo jeudi.
La question est d'autant plus brûlante que Carrefour est "le premier employeur privé de France", a rappelé le ministre de l'Economie sur France 5. "Ils s’engagent pour l’emploi des jeunes, et vont en embaucher cette année 15 000, donc le fait que la stratégie de Carrefour ne soit pas remise en cause par un nouvel actionnaire me semble très important", a prévenu Elisabeth Borne sur Europe 1.
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