Nutri-Score, le gouvernement joue la montre
C’est un décret ministériel qui aurait dû être signé depuis le 1er juillet dernier au ministère de la Santé. Onze pages qui durcissent encore les règles de calcul du Nutri-Score, après deux ans de travaux scientifiques. L’objectif : distinguer davantage les produits en fonction de leurs qualités nutritionnelles.
Mais depuis 3 mois et demi, ça bloque. Contrairement à certains de nos voisins qui en ont adopté la nouvelle version, la France, elle, accuse un sérieux retard. Ce dont s’étonne l’épidémiologiste Serge Hercberg, architecte du Nutri-Score : “Il n'y a absolument aucun obstacle technique, cet arrêté a déjà été écrit il y a plusieurs mois. On entend souvent de la part du ministère de la Santé le fait qu’il y ait eu des problèmes pratiques liés à la fois aux européennes, puis à la dissolution. Mais là, depuis plusieurs semaines, on a un nouveau gouvernement et il n’y a toujours pas la signature de décret”.
Le gouvernement mal à l’aise sur le sujet ?
Au pays des mille fromages, certains nouveaux ministres ont en tout cas par le passé affiché leur hostilité à un Nutri-Score plus exigeant avec les produits laitiers, notamment.
Comme Antoine Armand, l’actuel ministre de l’économie. En mars dernier, celui qui est alors député Renaissance de Haute-Savoie, patrie du Reblochon, interpelle le gouvernement dans une lettre signée par 50 parlementaires et cette question :“Comment imaginer que des fromages IGP et AOP, issus de territoires et de modèles d’élevage exceptionnels, obtiennent des notes dégradées ?”
Contacté, le cabinet du ministre explique que la signature de l’arrêté n’est qu’une question de temps.
Avec cette histoire de Nutri-Score, il y a un péril mortel pour nous.
Annie Genevard, ministre de l'AgricultureLors du congrès des Elus de la Montagne en Haute-Savoie, en 2021
Annie Genevard récemment nommée à l’Agriculture, quant à elle, a longtemps été députée du Doubs, pays du Comté. En 2021,face à des élus de la montagne, elle aussi s’inquiétait du nouveau Nutri-Score : "Je pense que vous êtes conscients du danger qui nous guette […] Avec cette histoire de Nutri-Score, il y a un péril mortel pour nous."
Le Nutri-score, objet de lobbying intense
Producteurs et industriels, inquiets face au nouveau Nutri-Score, continuent de se tourner vers celle qui est devenue ministre de l’Agriculture. C'est ce que confirme le président de La Coopération Laitière, Pascal Le Brun, joint par téléphone : “La semaine dernière, j'ai eu l'occasion de croiser la ministre de l'Agriculture. On a alerté une nouvelle fois pour pouvoir être entendus et pour qu'elle fasse remonter notre volonté de revisiter cet algorithme.”
Contacté, le cabinet de la ministre se défend d’intervenir sur le dossier et nous renvoie vers le ministère de la Santé, qui a le dernier mot sur la mise en œuvre du Nutri-Score.
Un lobbying de l'agro-industrie que constate et déplore Serge Hercberg : “Ce que l’on peut espérer c’est que lorsque des députés deviennent ministres, ils fassent passer la santé publique au premier plan et ne cèdent plus à des pressions de défense d'intérêts économiques.”
La révision de l’algorithme semble contestable d’un point de vue méthodologique
DanoneA l'Œil du 20H
Les pressions ne sont manifestement pas près de s'interrompre. Le géant Danone ne cache pas son opposition au nouveau mode de calcul du Nutri-Score. Alors qu’il a été l’un des premiers à l’adopter, l’industriel a commencé à le retirer sur certains de ses produits arguant que "la révision de l’algorithme qui bascule les produits laitiers et d’origine végétale à boire dans la catégorie des boissons semble contestable d’un point de vue méthodologique : cette évolution apporte une vision erronée de la qualité nutritionnelle des produits laitiers à boire, ne soutient pas les efforts et les investissements de reformulation, et entraîne donc de la confusion auprès des consommateurs."
PARMI NOS SOURCES :
Nutri-Score : le point sur les nouveautés 2024
L'arrêté ministériel de 2023 fixant la forme de présentation complémentaire à la
déclaration nutritionnelle recommandée par l’Etat en application des articles L.
3232-8 et R. 3232-7 du code de la santé publique
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