Cinq questions pour comprendre le retrait du marché du médicament Cytotec
Ce produit ne sera plus vendu en France à partir de mars 2018, a annoncé l'Agence du médicament.
Le Cytotec sera retiré du marché français à partir du 1er mars 2018, annonce l'Agence du médicament, jeudi 19 octobre. Ce médicament prévu pour soigner les ulcères de l'estomac a été utilisé pendant des années pour déclencher des interruptions de grossesse ou des accouchements à terme, avec, en cas de surdosage, des risques pour la santé de la mère et de l'enfant.
Franceinfo répond aux cinq questions qui peuvent se poser autour de ce médicament et de son retrait du marché.
Qu'est-ce que le Cytotec ?
Le Cytotec est un médicament qui se prend par voie orale. Il contient du misoprostol, une molécule qui appartient à la famille des prostaglandines. Il a été mis sur le marché en 1987 pour la prévention des ulcères de l'estomac.
Or, le Cytotec "est très peu utilisé en gastro-entérologie et l'est majoritairement en gynécologie", essentiellement pour provoquer des IVG ou déclencher artificiellement des accouchements, explique à l'AFP le Dr Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale adjointe de l'Agence du médicament. Car ce médicament, signale Allô docteurs, a un effet secondaire prisé par les gynécologues-obstétriciens : il accélère les contractions. Il est depuis des années détourné de son usage d'origine afin de déclencher des accouchements, à partir de 37 semaines d’aménorrhée.
Pourquoi est-il mis en cause ?
Cet usage détourné "n'est pas illégal, mais doit être limité aux prescriptions sans alternatives et seulement après information du patient", rappelle Le Parisien. Et il comporte des risques de surdosage : pour son usage en gynécologie, il faut en effet n'utiliser, par voie vaginale, qu'un huitième du comprimé. "Un comprimé fait la taille d'un ongle de petit doigt. (...) Autant dire que couper ce médicament, c'est jouer aux apprentis sorciers !", explique au Parisien le docteur Thierry Harvey, chef de service à la maternité des Diaconesses à Paris, qui refuse d'utiliser ce médicament.
Le risque d'un mauvais dosage pour la mère est d'entraîner des contractions trop fortes et de provoquer des ruptures utérines ou de graves hémorragies. Sur l'enfant, cela peut aussi aboutir à des anomalies du rythme cardiaque et à une mauvaise oxygénation du cerveau, pouvant laisser de graves séquelles.
"Mon fils est resté entre la vie et la mort plusieurs jours, j'ai eu l'utérus complètement déchiré, je ne pourrai plus avoir d'autre enfant. Ce n'est pas possible de faire vivre cela à des femmes pour des raisons budgétaires", témoigne Aurélie Joux, fondatrice de l'association Timéo et les autres, du prénom de son enfant "né sous Cytotec", surdosé, en novembre 2010. Elle a depuis gagné un procès fin 2016 devant le tribunal administratif de Versailles, en première instance, contre l'hôpital de Poissy (Yvelines) pour le préjudice subi par son fils lourdement handicapé, avec "sanction exécutoire" immédiatement. Sham, l'assureur de l'établissement, a fait appel, précise son avocat Serge Beynet.
Y a-t-il eu des mises en garde ?
Oui. En octobre 2005, l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) avait relayé des cas mortels survenus aux Etats-Unis : le comprimé avait été administré par voie vaginale et avait engendré le décès de la mère. En 2008, la Haute autorité de santé (HAS) avait alerté la profession sur les risques de cette utilisation.
En 2013, l'Agence du médicament, selon Allô docteurs, publiait une nouvelle mise en garde contre "l'utilisation" [du médicament pour provoquer un accouchement]. Elle estimait alors, dans un communiqué, que celle-ci "devait être réservée à des essais randomisés de puissance suffisante pour en évaluer le ratio bénéfice/risque, notamment les déchirures utérines".
Mais le 28 février 2013, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français s'indignait, dans "un billet d'humeur", de cette façon de "brandir à tout bout de champ le trop fameux principe de précaution", "sans concertation". Cette "mise en garde", estimait-il, "enfonce des portes ouvertes : quel médicament provoquant des contractions utérines dans le but de déclencher un accouchement n'augmente pas les risques de rupture utérine, d’hémorragies ou d'anomalies du rythme cardiaque ?"
Mais pourquoi est-il toujours utilisé ?
Essentiellement pour des raisons financières. Il ne coûte que 30 centimes le comprimé. Les médicaments à base de prostaglandine prévus pour le déclenchement artificiel du travail, en gel ou en tampon, coûtent, eux, beaucoup plus cher. "Le Propess, l'alternative que j'utilise, c'est presque 90 euros. Multipliez cela par des centaines d'accouchements, forcément, ça interroge", rappelle Thierry Harvey.
Mais pas seulement. A en croire Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), il est aussi "le médicament le plus facile à conserver" et "bien dosé, c'est la solution la plus efficace pour déclencher le travail". Thierry Harvey lui-même explique que le misoprostol, le principe actif du médicament, "est une bonne molécule" et qu'il n'hésiterait pas à l'utiliser "si demain un comprimé à 25 microgrammes est autorisé".
A quelle date sera-t-il retiré du marché ?
Le laboratoire Pfizer France a donc décidé de retirer du marché français le Cytotec, et la décision sera effective le 1er mars 2018. Ce délai, selon l'Agence du médicament, permettra aux industriels qui commercialisent déjà les médicaments Gymiso et Misoone, contenant la même molécule et préconisés en gynécologie, d'augmenter leur production. L'objectif est de "sécuriser l'accès à l'IVG" médicamenteuse, pour laquelle le Cytotec était utilisé. Le nombre est de 128 000 IVG médicamenteuses déclarées en 2015.
"Il nous faut un générique, il nous faut du misoprostol, pas cher comme pour le Cytotec, mais à différents dosages" estime Thierry Harvey. Une demande d'autorisation de mise sur le marché du laboratoire danois Azanta, pour des comprimés au dosage de 25 microgrammes, est en cours d'évaluation et pourrait peut-être être disponible courant 2018, indique l'Agence du médicament.
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