"Cette nouvelle espèce humaine est assez convaincante" : un paléoanthropologue décrypte la découverte d'Homo luzonensis aux Philippines
Auteur de nombreux travaux sur l’évolution des Néandertaliens, Jean-Jacques Hublin explique à franceinfo que la question qui se pose sur Homo luzonensis n'est pas "est-ce bien une nouvelle espèce ?" mais plutôt "d'où vient cette nouvelle espèce ?".
Une "découverte remarquable", aussi bien pour les scientifiques que pour l'humanité. Des chercheurs ont annoncé, mercredi 10 avril, avoir mis au jour une nouvelle espèce humaine aux caractères morphologiques singuliers, qui vivait sur l'île de Luçon, aux Philippines, il y a plus de 50 000 ans. Plusieurs questions surgissent après cette découverte qui sous-entend un élargissement du genre Homo. Pour tenter d'y répondre, franceinfo a interrogé Jean-Jacques Hublin, paléoanthropologue, auteur de nombreux travaux sur l’évolution des Néandertaliens et sur les origines africaines des hommes modernes.
Franceinfo : C'est l'analyse de 13 restes fossiles qui a conduit ces scientifiques à considérer qu'il s'agissait d'une nouvelle espèce, nommée Homo luzonensis en référence à l'île de Luçon. Mais selon vous, peut-on réellement parler de nouvelle espèce humaine dans ce cas précis ?
Jean-Jacques Hublin : Oui. Au vu des éléments publiés, cette nouvelle espèce est assez convaincante. D'autant plus que cette découverte s'inscrit dans un contexte général de découvertes qui dévoilent la très grande diversité des hominines [le groupe auquel appartient le genre humain]. On se rend compte, depuis une quinzaine d'années, que les formes cousines de nos ancêtres sont beaucoup plus nombreuses que ce que l'on croyait. Cela s'explique notamment par l'intensification des recherches en Asie. On y trouve de plus en plus de nouveaux fossiles, alors que longtemps l'attention des paléoanthropologues a principalement porté sur l'Afrique et l'Europe. Dans cette partie du monde, l'évolution humaine apparaît bien plus complexe que ce que l'on croyait.
On s'éloigne donc d'une vision linéaire de notre espèce, de cette fameuse image d'Epinal, qu'on voit sur les affiches ou les tee-shirts, avec un singe courbé qui avance, se redresse et s'humanise jusqu'à Homo sapiens. Aujourd'hui, la représentation la plus fidèle serait plutôt un buisson extrêmement touffu, avec plusieurs espèces qui existent à la même époque sur Terre et parfois dans les mêmes régions. Toutes les autres espèces ont disparu, nous sommes les seuls survivants de cette grande diversité. Ainsi, la question qui se pose sur Homo luzonensis n'est pas "est-ce bien une nouvelle espèce ?" mais plutôt "d'où vient cette nouvelle espèce ?".
Quels sont les critères qui permettent de parler de nouvelle espèce ?
Ce sont uniquement des caractères morphologiques retrouvés dans ces restes fossiles. On a trouvé dans la grotte de Callao des dents, des os de pieds, des phalanges, un fragment de fémur... J'espère que ce gisement va livrer d'autres restes à l'avenir, pour constituer un squelette composite mais plus complet de cette espèce. C'est ce qui s'est passé avec Homo floresiensis [ou homme de Florès, car découvert en 2003 sur cette île indonésienne]. L'objectif est de se faire une idée plus précise du portrait de cette créature bizarre. Car elle est très loin de l'anatomie des hommes actuels et des autres espèces que l'on connaît.
Cette découverte peut-elle s'inscrire dans le même type de schéma que celle de l'homme de Florès, un hominine aux origines très anciennes ?
C'est une hypothèse. Homo floresiensis a évolué longtemps de manière très isolée, sans doute à partir d'Homo erectus asiatiques. Le même scénario peut s'être produit avec Homo luzonensis, même si les deux espèces ne partagent pas exactement les mêmes caractéristiques. Dans les deux cas, on observe une combinaison étrange de traits primitifs et de traits assez "modernes". Ainsi, les prémolaires sont très primitives mais les molaires ressemblent un peu aux nôtres. Pour certains chercheurs, la présence de caractères extrêmement primitifs suggère un enracinement plus ancien encore qu’Homo erectus, peut-être même parmi des Australopithèques [disparus il y a deux millions d'années, et qui vivaient en Afrique]. Mais ceux-ci restent à ce jour totalement inconnus en Asie. Il est plus probable que ce soit le long isolement de ces êtres dans leurs îles qui a provoqué la réapparition de caractères très primitifs.
Homo luzonensis vivait sur une île et "était probablement petit", selon les scientifiques à l'origine de sa découverte. C'était également le cas de l'homme de Florès, surnommé le "Hobbit". En quoi le fait de vivre sur une île peut modifier l’espèce ? Voire en créer une nouvelle ?
Le nanisme est un type d’évolution qu’on trouve chez d’autres mammifères insulaires. Par exemple on a découvert des éléphants nains dans les dépôts quaternaires de nombreuses îles, en Méditerranée notamment. Mais aussi des rats géants. C'est une évolution qui s’explique par une faune appauvrie avec peu de prédateurs et aussi par des ressources limitées. Les grosses bêtes n’ont plus besoin d’être si grosses que ça. Pour nourrir un éléphant, il faut beaucoup de calories donc ils ont tendance à devenir de plus en plus petits. Des choses bizarres se sont produites sur les îles à cause de la limitation du territoire. On pense que les hominines ont pu être affectés par ce phénomène.
"Si, dans le futur, des collègues montrent que l'on s'est trompés et que ces restes correspondent à une espèce que l'on connaissait déjà, tant pis, ce n'est pas grave, on oubliera", a déclaré le Français Florent Détroit, paléoanthropologue au musée de l'Homme. Peut-on réellement oublier cette découverte ou révolutionne-t-elle nos connaissances des origines de l'être humain ?
Je pense qu'il n'a pas voulu dire qu'on va oublier cette découverte, mais qu'on pourrait revisiter son interprétation. La science n’est pas gravée dans le marbre, c’est une reconstruction permanente de ce que l’on sait. Au fil de nos découvertes, on précise la forme de l'arbre évolutif des hominines. Parfois on réalise que certaines branches doivent être groupées, d'autres fois on change la date d’apparition d’une espèce. Mais on ne coupe pas l'arbre tous les mois pour l'imaginer à nouveau.
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