Des comprimés de vitamine C très rentables
En France, le secteur des compléments alimentaires ne s’est jamais aussi bien porté. Il a atteint 2,6 milliards d’euros de chiffres d’affaires l’année dernière. Parmi ces compléments, la célèbre vitamine C, l’un des produits stars des pharmacies, dont on vante les mérites depuis 50 ans.
Les marques sont nombreuses à se positionner sur le créneau; la plus vendue, c’est UPSA. Ses usines sont situées à Agen, dans le sud-ouest de la France. Ici, 8 millions de boîtes de vitamine C sont fabriquées chaque année.
Nous demandons quel est le coût de production de cette boîte de vitamine C à la directrice de l'accès aux marchés. Elle ne peut pas nous répondre.
Ce sont des éléments confidentiels, bien évidemment que pour vivre une entreprise doit être rentable, donc il faut que l’équation et les conditions économiques je dirais soient viables.
Laure Lechertier, directrice de l'accès aux marchés chez UPSAà l'Oeil du 20h
Nous n’en saurons pas plus. Alors pour connaître les dessous de la vitamine C, il faut d’abord s'intéresser à sa matière première. C’est l’acide ascorbique, une poudre obtenue par la fermentation de céréales. Dans cette usine, elle vient d'Ecosse et de Chine.
Une production chinoise
La Chine est aujourd’hui et de loin la première source d’approvisionnement du marché européen.
Alors pour tenter d’estimer la rentabilité de la vitamine C, nous nous faisons passer pour des acheteurs auprès de fabricants chinois. D'emblée, ils veulent nous rassurer sur la qualité de leur produit : “Nous avons des clients en Europe. Notre entreprise vend ce produit depuis 10 ans.”
Ces fabricants chinois nous proposent 2 tonnes d’acide ascorbique à un prix défiant toute concurrence : 2 euros 40 le kilo.
Si l’on rajoute les frais de transport et de douane, cela revient à 5 euros le kilo pour un acheteur de l’industrie pharmaceutique. Cette vitamine C sera ensuite vendue au consommateur autour de 250 euros le kilo, 50 fois plus cher.
Même s’il faut prendre en compte les frais de transformation, d’emballage ou encore de transport, cela reste très rentable pour les industriels et pour les pharmacies.
Un marketing agressif
Un commerce lucratif, avec un marketing agressif de la part des laboratoires. Nous assistons à une scène durant laquelle un commercial délivre des éléments de langage à un pharmacien, pour mieux vendre ses produits.
"Voici les types de question qu’on peut vous poser : “j’ai du mal à gérer le matin, j’ai des grosses journées… Je pense que ça touche un peu tout le monde ça. C’est à partir de 10 ans, c’est saveur orange donc c’est très bon”, assure le commercial.
Des arguments que les clients retrouvent directement en rayon. Nous avons fait le test dans plusieurs pharmacies. On nous promet que la vitamine C nous fera passer un hiver en meilleure santé.
Ca va renforcer votre système immunitaire et ça va vous permettre de donner de la vitamine C… et comme ça pour l’hiver vous n'allez pas pouvoir tomber malade si vous faites de la prévention !
Un vendeur en pharmacieà l'Oeil du 20h
Pas d'efficacité sur le rhume
Ne pas tomber malade grâce à la vitamine C… est-ce scientifiquement prouvé ?
Pour le savoir, nous avons épluché plusieurs études sur le sujet. Et la science est formelle : la vitamine C n’a pas d’impact sur le rhume. “La consommation de vitamine C n’a aucun effet sur l’incidence des rhumes”, peut-on lire dans une étude chilienne de 2018. En 2013, une méta-étude française concluait : “l'utilisation de routine de la supplémentation en vitamine C n’est pas justifiée”.
Alors à quoi sert vraiment la vitamine C ? Présente dans de nombreux fruits et légumes, elle est essentielle pour notre santé car une grave carence peut entraîner le scorbut.
Mais cette maladie ancienne, qui provoque la perte des dents, a quasiment disparu aujourd’hui, selon l’ANSES, l’agence nationale de sécurité sanitaire.
De nos jours les Français ont tout ce qu’il faut en matière alimentaire pour pouvoir s'alimenter en vitamine C.
Aymeric DopterChef de l'unité d'évaluation des risques liés à la nutrition à l'ANSES
En effet, les doses de vitamine C recommandées sont relativement faibles, et faciles à atteindre à travers une alimentation équilibrée. C'est 110 mg de vitamine C par jour : l’équivalent par exemple d’une portion de poivron, ou d’un kiwi.
D’après l’ANSES, il n’est pas utile d’en prendre plus, car la vitamine C ne peut pas être stockée par l’organisme. Prendre 500 mg ou 1g de vitamine C ne fait pas de différence : cela sera éliminé par l'organisme.
Les syndicats défendent l'usage de la vitamine C
Comment expliquer le décalage entre ce discours et celui des pharmacies ? Nous sommes allés poser la question au syndicat des pharmaciens, qui défend la profession.
"Nous, la vitamine C ca va être un produit d’accompagnement, on va expliquer qu’il faut bien dormir, on va donner des conseils et la vitamine C sera un plus. Je n’aime pas parler d’effet placebo, mais au pire si ça fait pas de mal… ça fera du bien."
Yorick BergerSecrétaire général du syndicat des pharmaciens de Paris
Contacté, le Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires, qui représente une grande partie des marques de vitamine C, défend l’usage de cette vitamine. Le synadiet nous écrit :
“La consommation de fruits et légumes n’est pas homogène dans la population française. [...] Il n’est pas absurde, voire même raisonnable, d’envisager une complémentation en vitamine C”.
Nous avons contacté de nombreux fabricants qui ne nous ont pas répondu. L’une des seules marques à l’avoir fait, UPSA, affirme que nos modes de vie nous exposent à des carences en vitamine C, pour justifier l’achat de ces comprimés.
Parmi nos sources :
L'étude chilienne sur la vitamine C et le rhume
L'étude française sur la vitamine C et le rhume
Les références nutritionnelles en vitamine C de l'ANSES
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