Trois questions sur la proposition de loi pour "l’accès direct" des patients à certains infirmiers, kinés et orthophonistes
"Ce texte répond à deux objectifs : lutter contre les déserts médicaux et améliorer l’accès aux soins." La députée du Loiret et rhumatologue Stéphanie Rist (Renaissance) est parvenue à faire adopter sa proposition de loi, jeudi 19 janvier, permettant l’ouverture d’un "accès direct" des patients à certains infirmiers, kinésithérapeutes et orthophonistes.
En clair, le texte vise à donner aux patients l'accès à ces professionnels de santé sans devoir passer par leur médecin traitant, et ce, tout en étant remboursés. Voté à l'unanimité en première lecture, avec l'abstention du RN et de LR, il "redit que le médecin généraliste est au centre du parcours", mais permet "qu'il ne soit pas le premier vu en consultation, mais peut-être le deuxième", a expliqué la députée de la majorité.
Le texte sera examiné par le Sénat le 14 février. Franceinfo vous explique ce qu'il contient précisément et pourquoi il suscite une vive opposition des médecins.
1 Quelles sont les professions concernées par cet "accès direct" ?
La proposition de loi vise notamment à élargir les missions des infirmiers en pratique avancée (IPA), un statut créé par la loi Touraine de 2016 puis un décret en 2018, qui permet d'obtenir un meilleur salaire et un peu plus d'autonomie, avec un élargissement des compétences sur des pathologies ciblées. La pratique avancée requiert un diplôme à bac +5, et non à bac +3 comme les infirmiers diplômés d’Etat.
Les kinésithérapeutes et orthophonistes exerçant dans des établissements de santé sont également ciblés et seraient autorisés, si la loi est entérinée, à faire certaines prescriptions de soins et médicaments.
2 Qu'est-ce que ça change pour le patient ?
Les IPA, que l'on appelle aussi "infirmiers experts", auront la possibilité d'établir certaines prescriptions de soins et de médicaments. Les patients pourront prendre rendez-vous directement avec eux, ainsi qu'avec les masseurs-kinésithérapeutes et les orthophonistes, sans avoir besoin de se faire prescrire les séances par leur médecin traitant, comme c'est le cas actuellement.
Contre l'avis du gouvernement, l'Assemblée a adopté un amendement pour que la mesure s'applique à dix séances de kiné plutôt que cinq. Les députés ont aussi soutenu une proposition du macroniste Karl Olive pour permettre aux kinés de prescrire une activité physique adaptée (APA), notamment aux patients atteints d'une affection de longue durée.
Dans la même logique, le texte renforce les prérogatives des assistants dentaires, avec un nouveau statut d'assistant en médecine bucco-dentaire. Les pédicures-podologues pourront prescrire des orthèses plantaires, et les opticiens adapter une prescription des ophtalmologues.
Le pharmacien pourrait renouveler les traitements chroniques pour une durée maximale de trois mois, lorsque le médecin prescripteur n'est pas disponible. Et les députés ont voté une expérimentation dans cinq départements autorisant des pharmaciens biologistes médicaux à dépister le cancer du col de l'utérus.
3 Pourquoi cette mesure suscite-t-elle la colère des médecins ?
La grande majorité des syndicats et l'ordre des médecins sont très réticents à l'idée de déléguer davantage de tâches. "On est à un niveau d'externe de médecine qui n'a pas du tout les compétences pour gérer un patient tout seul", déplore auprès de franceinfo le docteur Julien Sibour, généraliste dans les Bouches-du-Rhône et porte-parole du collectif Médecins pour demain, qui se dit en totale opposition avec cette proposition de loi. "Il faut vraiment que les gens comprennent que leur santé va être mise en danger, qu'il va y avoir des retards de prise en charge, des erreurs médicales", ajoute-t-il.
"C'est très difficile de faire un bon pronostic. Si, par exemple, vous souffrez d'une douleur abdominale, cela peut être une gastro, un infarctus, une pathologie chirurgicale, et seul le médecin peut diagnostiquer les causes de la douleur", illustre le docteur Jean-François Delahaye, président du conseil de l'ordre des médecins de Bretagne, dans les colonnes du Télégramme.
De son côté, la députée Stéphanie Rist estime, dans le Le Journal du dimanche (article réservé aux abonnés), qu'il s'agit seulement de se remettre "à niveau par rapport aux autres pays qui, depuis très longtemps, font plus confiance aux autres professionnels de santé. Les infirmières de pratique avancée, c’est quelque chose qui existe depuis 1962 aux Etats-Unis par exemple." Et d'ajouter : "Ces professions-là ne sont pas des 'petits médecins' : elles sont complémentaires."
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