Tabac et alcool : 120 000 morts en France, "c’est un Covid par an" rappelle l’addictologue Amine Benyamina
Le nombre de fumeurs a stagné en France en 2020 après une baisse qui a duré plusieurs années.
"Le tabac et l’alcool tuent tous les ans, en France, 120 000 personnes. C’est un Covid par an", constate le professeur Amine Benyamina, psychiatre, addictologue et président de la Fédération française d’addictologie. Après plusieurs années de baisse, le nombre de fumeurs a cessé de baisser en 2020. Il est même en augmentation chez les personnes les plus précaires, selon les chiffres publiés par Santé publique France ce mercredi.
"Il faut qu'on ait le courage d'analyser froidement cette stabilisation qui n'est pas bonne et probablement axer une politique sur les personnes vulnérables et sur les personnes nouvellement touchées par la consommation, comme les femmes et les jeunes" estime Amine Benyamina. "On doit inventer autre chose pour ce type d'accident épidémiologique".
franceinfo : Il y a aujourd'hui deux fois plus de fumeurs quotidiens parmi les personnes les plus défavorisées. Est-ce que cela montre les limites de la politique de hausse des prix, par exemple ?
Amine Benyamina : C'est possible, mais cela dit, lorsque l'addiction est installée, la notion de prix n'a plus de sens. La politique des prix est une politique qui évite à de nouvelles populations de rentrer dans la consommation du tabac et pénalise ceux qui ne sont pas totalement dépendants du tabac de maintenir leur consommation. Donc, on doit inventer autre chose pour ce type d'accident épidémiologique.
"La première des choses, c'est d'abord de débusquer la présence des lobbies."
Amine Benyaminaà franceinfo
Inventer autre chose, ça peut être quoi ?
La première des choses, c'est d'abord de débusquer la présence des lobbies. Le lobby du tabac a été redoutablement efficace et s'est adapté à toutes les politiques de prévention et de lutte qu'on a mises en place. Il faut aussi essayer de voir comment ce lobby se régénère à travers de nouvelles formes de tabac. Autre élément important, on a vécu depuis quelques années une situation mondiale, sociale, économique, sanitaire exceptionnelle, on espère peut-être que ces effets ne sont que ponctuels, mais je crains que non. Il faut qu'on ait le courage d'analyser froidement cette stabilisation qui n'est pas bonne et probablement axer une politique sur les personnes vulnérables et sur les personnes nouvellement touchées par la consommation, comme les femmes et les jeunes. Consommer, c'est être plus vieux pour les jeunes, plus viril pour les hommes et plus "in" pour les femmes. Ce sont des éléments qu'on a réussi petit à petit à ringardiser avec un travail de prévention, mais il faut aussi travailler sur le comportement. Il faut une prise en charge globale.
Est-ce une addiction qu'on peut lier à celle de l'alcool ? Est-ce que ça va ensemble ?
Hélas, c'est un cocktail fréquent et redoutable. Et d'ailleurs, dans les structures dédiées à cette prise en charge, on fait ce qu'on appelle des sevrages combinés, souvent alcool-tabac. Quand une personne rentre pour une addiction, on lui propose une prise en charge globale parce l’un appelle l’autre. Avec les messages pour lutter contre le Covid-19, est-ce qu'à un moment, ça veut dire aussi qu'il n’y avait plus de place pour d'autres messages, comme celui de la lutte contre le tabagisme ou l'alcoolisme ? Probablement, c’est l'effet pervers de la hiérarchie lésionnelle en médecine, c'est-à-dire quand on a le sentiment qu'un pronostic est engagé, on concentre son attention sur ce qui nous semble le plus aigu. Mais attention, le tabac et l’alcool tuent tous les ans, en France, 120 000 personnes. C’est un Covid par an. C’est un Covid qui ne se transmet pas par la salive, mais qui peut s'éviter. Donc, il faut toujours avoir en tête ce type de raisonnement parce qu'on peut y faire quelque chose. C'est ce qu'on appelle les facteurs modifiables. On peut modifier le destin des personnes si on arrive à avoir les bons gestes.
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