Alimentation, vêtements, sécurité, santé... Peut-on se passer des PFAS, ces "polluants éternels" accusés d'empoisonner notre quotidien ?
Ils sont présents partout autour de nous : sur les poêles antiadhésives, certains emballages alimentaires, les vêtements déperlants, du matériel médical, dans des cosmétiques ou les appareils électroniques... Ce sont les PFAS. Derrière ce sigle anglophone (prononcer "pifasse") se cachent les substances per- et polyfluoroalkylées : une famille de composés chimiques de synthèse intégrant du fluor. Très résistants, ils confèrent aux produits concernés des caractéristiques recherchées des particuliers comme des industriels. Le revers ? Les PFAS sont très peu biodégradables. Ils peuvent persister très longtemps dans l'environnement, d'où leur surnom de "polluants éternels".
Les PFAS, apparus dans les années 1940, contaminent les sols, les eaux de surface et les nappes phréatiques. Leur durée de vie leur permet de voyager et se retrouver à des milliers de kilomètres de leur lieu de production et d'émission, jusqu'aux pôles ou aux sommets de l'Himalaya. En France, ils ont massivement pollué la vallée de la chimie, près de Lyon. L'Agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé, lundi 15 janvier, avoir mesuré certains de ces composants à des taux supérieurs au seuil de référence européen dans l'eau du robinet reçue par plus de 160 000 personnes, et demande des mesures correctives aux communes concernées.
Les inquiétudes sont en effet nombreuses concernant leurs conséquences sur la santé, de plus en plus étudiées : en s'accumulant sur le long terme et à forte dose, les PFAS peuvent engendrer des cancers (testicule, prostate, rein), provoquer des troubles de la croissance ou encore des défaillances du système immunitaire, avec un risque marqué pour les femmes enceintes et les fœtus.
Pour faire face à ce problème à la fois industriel, environnemental et de santé publique, le gouvernement français a présenté en janvier 2023 un plan d'action contre les PFAS. Il compte notamment "porter au niveau européen une interdiction large pour supprimer les risques liés à l'utilisation ou la mise sur le marché" de ces composants. L'Agence européenne des produits chimiques a rendu publique, en février 2023, une proposition en ce sens, portée par l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Norvège, mais les discussions ne devraient pas aboutir avant 2025, au plus tôt. Pourrons-nous nous passer de ces substances, alors qu'elles sont partout autour de nous ?
Des usages parfois adoptés par confort
Les PFAS forment une grande famille qui compte entre 4 000 et 10 000 substances, souligne auprès de franceinfo Anne-Christine Macherey, toxicologue au sein de l'unité Prévention du risque chimique du CNRS. Leurs applications sont extrêmement variées, et souvent très spécifiques : une solution de substitution viable dans un cas ne le sera pas forcément dans un autre. Comment s'y retrouver ? Quels composés et quels usages interdire ? Dans un article publié en 2019, une équipe de l'université de Stockholm (Suède) distingue trois catégories d'utilisation des PFAS : les usages "de confort", les usages "remplaçables" et les usages "essentiels".
Parmi les usages "de confort", les auteurs de l'article mentionnent le fil dentaire, les maillots de bain dont le tissu repousse l'eau ou encore le fart pour les skis. Autant de produits pour lesquels il existe déjà des alternatives sans PFAS, parfois moins pratiques, mais dont l'adoption n'a pas de désavantage pour "le fonctionnement de la société", résument les scientifiques. Ainsi, les biathlètes ont désormais interdiction d'utiliser du fart contenant du fluor en compétition, et tant pis si les courses sont plus lentes.
Pour illustrer les usages "remplaçables" – des produits dont on pourrait difficilement se passer, mais pour lesquels des alternatives convenables aux PFAS existent – l'équipe de Stockholm cite certains textiles imperméables, mais pointe surtout vers la "plupart des utilisations des mousses anti-incendies". En effet, en Europe, la majorité des zones fortement contaminées par des PFAS le sont du fait de l'usage de ces mousses, notamment dans des bases aériennes et des aéroports, comme le pointait France 3 Bourgogne-Franche-Comté début 2023. "Dans les mousses anti-incendies, les PFAS permettent d'absorber l'oxygène présent dans l'air, ce qui réduit les flammes, et donc faiblit puis éteint l'incendie", expliquait alors Pierre-Marie Badot, professeur d'écotoxicologie à l'Université Franche-Comté.
Enfin, par usages "essentiels", les chercheurs de la capitale suédoise désignent ceux "nécessaires pour la santé ou la sécurité ou d'autres sujets hautement importants, et pour lesquels des alternatives n'ont pas encore été trouvées". Il peut notamment s'agir de "certains équipements médicaux" ou "vêtements de protection".
Des invités surprise dans nos cuisines
Les usages de confort sont facilement identifiables. "Beaucoup de gens n'ont pas conscience que quand ils prennent une paille en carton ou une boîte à pizza, il y a des PFAS dedans", qui peuvent finir par se retrouver dans leur organisme ou l'environnement, commente auprès de franceinfo Michael Ryckelynck, professeur de biochimie à l'université de Strasbourg. Ils permettent en effet à ces contenants de résister à la chaleur, à l'humidité et à la graisse. Cela n'a pas empêché les autorités danoises d'interdire leur usage dans les emballages alimentaires depuis juillet 2020. "Si on peut s'en séparer et les éviter, autant les interdire. On pourrait très bien décider de se passer de ce genre de produits, le Danemark le montre", avait commenté en 2021 sur franceinfo Philippe Froguel, généticien et endocrinologue au CHRU de Lille.
Le même constat peut être fait au sujet des poêles antiadhésives recouvertes de Téflon, une marque déposée derrière laquelle se cache un type de PFAS. Elles peuvent être remplacées avantageusement par "la bonne vieille poêle en fonte", remarque Michael Ryckelynck – les ustensiles en inox ou recouverts d'émail font aussi office d'alternatives.
De nombreux vêtements imperméables sont encore couverts de PFAS. Des marques spécialisées dans les activités d'extérieur ont pourtant choisi de ne plus faire appel aux perfluorés depuis plusieurs années, et font même de cette démarche un argument marketing, souligne Pierre Labadie, chimiste de l'environnement au CNRS. Dès 2015, le ministère de l'Environnement danois avait mis en avant, dans un rapport de 84 pages (fichier PDF), des alternatives à ces composés de synthèse pour le traitement des textiles.
Des alternatives recherchées dans la médecine et l'industrie
Pour les mousses anti-incendies, aussi appelées mousses extinctrices, des produits sans fluor, et donc sans PFAS, sont désormais disponibles. Ils sont plus coûteux et leur utilisation nécessite quelques ajustements. Mais les professionnels s'y convertissent, anticipant un possible changement de législation en Europe.
Du côté des industriels, identifiés par le gouvernement comme des "émetteurs de façon significative", des portes de sortie se profilent. La société Arkema, visée par une plainte collective et particulièrement pointée du doigt pour son rôle dans la pollution au sud de Lyon, a affirmé en février 2023 être "d'ores et déjà engagé dans un processus d'arrêt complet d'utilisation du seul fluorosurfactant encore présent dans ses procédés de fabrication sur le site de Pierre-Bénite". Elle précise qu'elle pourra s'en passer "dès la fin 2024", "grâce à un investissement substantiel" dans la recherche et le développement d'alternatives. Des promesses peu surprenantes, car son site est probablement le plus scruté de France. Le ministère de la Transition écologique le met en avant comme un "préfigurateur de cette démarche d'identification et de diminution des rejets de PFAS".
Dans le domaine médical, où nombre d'utilisations des PFAS peuvent être considérés comme essentielles et vitales (par exemple pour la fabrication de cathéters et autres dispositifs invasifs), des efforts importants doivent encore être réalisés pour trouver des substituts. Ainsi, 20% de médicaments qui contiennent des PFAS, selon un chercheur du CNRS qui travaille sur une alternative à un composé contenant du fluor, largement utilisé car il permet à certains médicaments d'être bien assimilés par l'organisme.
Une dépollution très compliquée
Apprendre à se passer des PFAS est d'autant plus urgent qu'aucune solution miracle n'existe pour s'en débarrasser une fois qu'ils sont disséminés dans la nature. Des procédés de décontamination ont été élaborés, mais ils sont très onéreux et ne peuvent s'appliquer que sur des zones restreintes. Pour élargir l'éventail des traitements, Michael Ryckelynck et Stéphane Vuilleumier mènent un projet de recherche sur des micro-organismes qui pourraient être capables de venir à bout des PFAS. Mais eux aussi plaident pour une action en amont, en restreignant le plus possible l'utilisation de ces composés chimiques.
"Même si nous trouvons une solution [de dégradation des PFAS], ce n'est pas pour cela qu'il faut continuer à faire n'importe quoi. Si on produit des poisons, et que l'on sait sciemment que ce sont des composés toxiques, il faut réduire autant que possible leur utilisation."
Michael Ryckelynck, professeur de biochimie à l'université de Strasbourgà franceinfo
Sans compter que les pollutions aux PFAS peuvent être très diffuses et varier selon les sources de contamination, met en garde Stéphane Vuilleumier : "Dépolluer, ce n'est pas passer l'aspirateur dans son salon." Face à l'urgence et l'immensité du sujet, les autorités ne devraient pas hésiter à mettre la main à la poche, selon Pierre Labadie. "Trouver des processus alternatifs, cela a un coût, souligne le chimiste. Mais l'inaction a également un coût, notamment en termes sanitaires."
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