La punaise de lit est-elle vraiment la petite bête qui monte, qui monte, qui monte ?
Depuis la rentrée de septembre, les punaises de lit ont envahi beaucoup de draps. Mais surtout les esprits. Sur les réseaux sociaux, les vidéos et les témoignages de victimes de ces insectes se sont multipliés, montrant les fameux hétéroptères déambuler sur les sièges des métros, des amphithéâtres d'universités ou de cinémas, au point d'en faire l'un des sujets politiques de l'automne. Cette panique est-elle proportionnelle à l'ampleur du phénomène ? Et existe-t-il des indicateurs fiables pour évaluer la prolifération, fantasmée ou non, de ces bestioles ?
Jean-Michel Bérenger, entomologiste médical à l'IHU Méditerranée Infection et membre du comité d'experts de l'Institut national d'étude et de lutte contre la punaise de lit (Inelp), se montre catégorique : "La population de punaises de lit augmente depuis les années 1990". Cependant, il n'existe pas d'indicateur de suivi fiable permettant de chiffrer cette augmentation. Pour cela, "il faudrait mettre en place une déclaration obligatoire" des cas d'infestation auprès des autorités, recommande-t-il. A défaut d'outil de suivi scientifique sûr, l'un des seuls indicateurs sur lesquels s'appuient les entomologistes "est l'activité des entreprises qui désinsectisent", explique le spécialiste.
Les désinsectisations en hausse
Que disent donc les chiffres de ce côté-là ? Selon la Chambre syndicale de dératisation, désinfection, désinsectisation (CS3D), le nombre d'interventions pour des punaises de lit croît depuis plusieurs années en France. "C'est une progression de fond, pas une explosion soudaine", confirme le porte-parole de l'organisation, Stéphane Bras. Dans un rapport parlementaire (PDF) conduit par l'ex-députée LREM Cathy Racon-Bouzon, remis en 2020 au Premier ministre, la CS3D faisait déjà état d'une augmentation du nombre d'interventions dans le pays : 200 000 en 2017, 400 000 en 2018, et 540 000 en 2019.
Une hausse qui s'est poursuivie les années suivantes. La CS3D a recensé 889 000 interventions en 2020, 977 900 en 2021 et 1 095 000 en 2022, selon des chiffres transmis à franceinfo. Pour 2023, Stéphane Bras estime déjà que les déplacements de professionnels "ont augmenté de 65% ces quatre derniers mois", par rapport à la même période l'année dernière.
"On est sur un plateau élevé qui va durer le temps que des mesures soient prises."
Stéphane Brasporte-parole de la Chambre syndicale de dératisation, désinfection, désinsectisation (CS3D)
Mais qui dit intervention ne dit pas forcément infestation. Car toutes les infestations de punaises de lit ne font pas l'objet d'une intervention par un professionnel. Certains particuliers tentent de traiter le problème eux-mêmes. De plus, même si la multiplication des interventions est un bon indice d'une tendance à la hausse, cela ne signifie pas que les infestations augmentent proportionnellement.
Un ménage sur dix infesté entre 2017 et 2022
En parallèle des chiffres remontés par les professionnels, de rares études basées sur des "sondages en population générale" existent tout de même. En juillet 2023, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié une enquête (PDF) selon laquelle 11% des ménages auraient été infestés entre 2017 et 2022. Entre 2016 et 2020, seulement 7% des ménages avaient été touchés, selon une autre étude Ipsos de février 2021 (PDF), commandée par l'entreprise Badbugs, spécialisée dans la mise en relation entre particuliers et professionnels de la désinsectisation. "On peut donc conclure que les infestations ont tendance à augmenter", confirme l'Anses, contactée par franceinfo.
Les deux études notent par ailleurs une baisse des infestations en 2020 et 2021 "qui pourrait être corrélée à la période de confinement durant le Covid-19", selon l'Anses. Mais après le déconfinement, les infestations "ont repris de plus belle", explique Jean-Michel Bérenger. Peut-être en raison de la reprise des voyages après cette crise sanitaire, avance-t-il. Le ministère de la Santé évoque aussi "l'accroissement des voyages internationaux" depuis les années 1990 pour justifier la hausse du phénomène. Car ces insectes se déplacent d'un lieu à un autre en se glissant généralement dans nos bagages.
D'autre part, cet automne est d'autant plus à risque que les insectes prolifèrent davantage lorsqu'il fait chaud. "A 20°C, les œufs de punaises vont mettre dix jours à éclore. A 28°C, seulement cinq jours", décrit Jean-Michel Bérenger. Ce mois de septembre exceptionnellement chaud n'a donc pas aidé à freiner leur reproduction.
"Un effet de bulle médiatique"
De là à passer son matelas aux rayons X ? S'il est clair que les punaises de lit prolifèrent, selon les professionnels du secteur, cette croissance s'est aussi accompagnée "d'un effet de bulle médiatique", selon Nicolas Roux de Bézieux, fondateur de Badbugs, contacté par franceinfo. "Cet été, il y a eu un zoom sur les punaises de lit avec beaucoup de gens qui ont découvert la problématique. Une vigilance, voire une hypervigilance, s'est mise en place. Certaines infestations, qui auraient été traitées au mois d'octobre ou novembre, ont été détectées plus tôt du fait de ce coup de projecteur", poursuit-il. Même son de cloche du côté de la CS3D.
"Ne plus s'asseoir dans le métro ou dans le train, ne plus aller au cinéma, c'est n'importe quoi."
Stéphane Brasporte-parole de la Chambre syndicale de dératisation, désinfection et désinsectisation (CS3D)
"Des gens nous appellent parce qu'ils ont vu un scarabée", déplore Stéphane Bras, pour qui "il ne faut pas céder à la panique". "Les vidéos de punaises dans les trains et le métro tournent en boucle, mais il n'y a pas de raison qu'il y en ait plus que les autres années. L'année dernière, il y en avait déjà quelques-unes, mais les gens ne faisaient pas attention", appuie Nicolas Roux de Bézieux.
Par ailleurs, tomber sur une des rares punaises de lit ayant réussi à se faufiler dans un métro ne signifie pas qu'elle finira rapidement sous votre couette. Le risque d'en ramener une depuis les transports en commun est "infinitésimal", assure-t-il. La punaise de lit n'a "aucun intérêt à rester sur vous ou dans vos affaires pour rentrer chez vous. Elle va plutôt vouloir rester sur le siège sur lequel elle vous a piqué", explique l'entomologiste Léna Polin, connue sous le pseudo de Scarabête sur YouTube, à Numerama. Dans le métro parisien, la RATP assure que "ces derniers jours, aucun cas avéré de punaises de lit n'a été constaté". Suffisant pour ne plus avoir envie de se gratter ?
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