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Elle avoue avoir tué son fils lourdement handicapé : Anne Ratier peut-elle être poursuivie ?

En 1987, Anne Ratier a donné la mort à son fils de 3 ans, tétraplégique et lourdement handicapé. Trente-deux ans après ce meurtre par préméditation, elle explique son geste dans un livre.

Article rédigé par Aliénor Vinçotte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Anne Ratier a expliqué pourquoi elle a tué son fils Frédéric, lourdement handicapé, devant la caméra de Konbini.  (KONBINI NEWS)

La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux. Mise en ligne lundi 4 mars sur le compte Twitter de Konbini, elle suscite des débats enflammés. Dans un entretien avec le journaliste Hugo Clément, une femme explique pourquoi elle a donné la mort en 1987 à son fils de 3 ans, lourdement handicapé depuis la naissance. "Je m'appelle Anne Ratier, je vais vous expliquer pourquoi j'ai décidé d'offrir la mort à mon fils, Frédéric", annonce celle qui vient de publier un livre-témoignage sur son acte, en guise d'introduction.

L'enfant, dont le cerveau a manqué d'oxygène à la naissance, n'avait aucun espoir d'amélioration, selon la mère. "Il ne pouvait pas marcher, il ne pouvait pas se tenir. Il était tétraplégique", assure-t-elle. Un jour, cette femme décide de vider "tout le tube de neuroleptiques" dans un peu de lait et fait ingérer ce mélange à son fils. Frédéric meurt, après trois jours de coma.

Le témoignage d'Anne Ratier a suscité de nombreuses questions. Parmi elles, celle de savoir si son acte est encore pénalement condamnable ? Franceinfo a interrogé une avocate spécialisée en droit pénal et un magistrat pour tenter d'y répondre.

Quelle est la qualification juridique possible de ces faits ?

Dans la vidéo, Hugo Clément le rappelle : "Ce que vous avez fait selon la loi, c'est un meurtre avec préméditation", autrement dit un assassinat. Ce que ne nie pas l'intéressée.

Dans le détail, plusieurs circonstances aggravantes pourraient également être retenues contre cette femme. Une mère qui donne la mort à son enfant handicapé en lui faisant ingérer des médicaments constitue bien un meurtre avec préméditation, par ascendant sur un mineur de 15 ans et personne vulnérable. Pour ces faits, la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, rappelle Legifrance.

"J'avais parfaitement conscience de commettre un acte illégal, explique aujourd'hui Anne Ratier au micro de RTL. (...) J'étais prête à aller en prison. J'ai eu la conscience très aiguë de transgresser une loi mais je n'avais pas le temps que mon fils continue à souffrir."

Les faits sont-ils prescrits ?

Anne Ratier affirme n'avoir jamais vérifié si les faits étaient prescrits avant de prendre la parole. Lors de l'interview, Hugo Clément assure, lui, que "le délai de prescription pour ce type d'acte est de trente ans". Les faits ayant eu lieu en 1987, il en déduit qu'ils ne peuvent plus être poursuivis depuis 2017.

"Dire que ces faits sont prescrits après trente ans, on est certain que c'est faux", explique un magistrat interrogé par franceinfo. Si le délai de prescription actuel est bien de trente ans, il court à partir de la majorité du mineur victime. Dans ce cas, les faits ne seraient prescrits qu'en 2032, soit trente ans après le dix-huitième anniversaire de Frédéric.

Mais il est également faux de se baser sur la législation en cours en 2019 pour calculer la date de prescription de ces faits. Il faut remonter le fil des réformes pour la déterminer. "C'est une gymnastique compliquée et c'est quelque chose qui nous pose assez de difficultés en juridiction, explique le magistrat interrogé. Il faut se demander si chaque nouvelle réforme – qui venait changer le régime de la prescription – est intervenue alors que la prescription n'était pas encore acquise."

En 1987, la prescription pour meurtre était de dix ans, calculée à partir de la commission des faits. Puis la loi a changé et a fait courir cette période de dix ans "à compter de la majorité de la victime", explique Delphine Meillet, avocate pénaliste au barreau de Paris. Dans le cas de Frédéric, né en 1984, le délai aurait donc été porté à 2012. Au regard de la loi, "les faits seraient donc prescrits".

D'autres juristes ont signalé l'existence d'un autre texte entré en vigueur en 2004, "qui augmentait la prescription à vingt ans, à compter de la majorité". Mais, selon les deux spécialistes interrogés par franceinfo, le cas d'Anne Ratier ne serait pas concerné. "Ce texte ne s'appliquait qu'aux cas d'assassinat par ascendant précédé d'actes de torture, barbarie ou de viol", précise Delphine Meillet.

De son côté, le magistrat confirme que "sous toute réserve, a priori, l'acte commis par Anne Ratier n'aurait pas été concerné" par le passage de la prescription de dix à vingt ans après la majorité, au vu des éléments apportés par le témoignage de la mère. "A priori, le meurtre sur ascendant sans circonstance particulière n'est pas concerné par cette nouvelle loi", indique le magistrat, sous "toute réserve" et "dans l'hypothèse que cette dame dise toute la vérité, et rien que la vérité." Des éléments ignorés sur les circonstances de la mort de l'enfant pourraient en effet conduire à une "analyse différente".

La justice peut-elle se saisir de cette affaire ?

"Vu le retentissement de l'affaire", estime le magistrat interrogé par franceinfo, il est probable que la justice se penche sur le dossier. "Le procureur territorialement compétent (celui du lieu supposé des faits ou celui du lieu de domicile de Mme Ratier) peut se saisir d'initiative et ouvrir une enquête, au seul vu de la vidéo", ajoute-t-il. Il s'agira alors de déterminer les circonstances dans lesquelles se sont déroulés les faits.

Dans ce cas, il reviendra à la justice de dire si les faits sont bien prescrits ou s'ils doivent donner lieu à des poursuites. "On ne sait pas tout sur ce dossier, il y a peut-être un élément ou un autre qui peut jouer sur la question de la prescription", explique le magistrat. Et seule une enquête approfondie peut permettre de trancher.

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