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Crise de l'hôpital public : on vous explique pourquoi autant de services d'urgences sont obligés de fermer avant l'été

La pénurie de soignants qui touche l'hôpital public force de nombreux services d'urgences à fermer. Les professionnels de la santé redoutent une rupture de soins pour cet été.

Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des soignants au CHU de Bordeaux, le 4 février 2022. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Malgré l'urgence, il faut attendre. Faute de soignants, les patients du CHU de Bordeaux sont accueillis, depuis mercredi 18 mai au soir, par "deux bénévoles de la Protection civile" et "un agent de sûreté", a expliqué sur franceinfo, mardi, Gilbert Mouden, infirmier anesthésiste et représentant syndical. Et le CHU bordelais n'est pas le seul dans cette situation : "Il y a dans chaque hôpital des lits qui sont fermés par manque de personnel"a affirmé, jeudi, Rémi Salomon, président de la Commission médicale d'établissement de l'AP-HP. "Cela concerne à peu près une centaine de services d'urgences sur les 690 que compte la France​", estime de son côté Patrick Pelloux, président de l'association des médecins urgentistes hospitaliers de France, dans un entretien à Ouest-France.

A l'approche des vacances d'été, ces fermetures de services d'urgences inquiètent. Franceinfo fait le point sur les raisons qui poussent les hôpitaux vers la rupture de soins.

Parce que l'hôpital fait face à une épidémie de burn out

Plusieurs services d'urgences sont contraints de fermer à cause de nombreux arrêts maladie. Outre le cas de Bordeaux, à Chinon (Indre-et-Loire), les "équipes sont épuisées", témoignait mercredi Guillem Bouilleau, le responsable du service d'accueil des urgences et du Smur de Chinon, sur France Bleu Touraine. "Il reste une seule infirmière qui se sent en capacité de travailler. La situation est effectivement catastrophique. Tous les autres se sont effondrés petit à petit comme un château de cartes." 

"Ça a commencé par des pleurs, puis un effondrement psychologique et physique de certains aides-soignants, puis ça s'est répandu."

Guillem Bouilleau, responsable du service d'accueil des urgences de Chinon

France Bleu Touraine

Au CHU d'Orléans (Loiret), les urgences n'ont accueilli que les urgences vitales du 28 mars au 13 mai, car 76 infirmiers et aides-soignants étaient en arrêts maladie pour burn out, rapportait dimanche Le JDD (article payant). Selon France 3 Centre-Val de Loire, l'ensemble du personnel a pu reprendre progressivement le travail vendredi. A Nevers (Nièvre), mi-avril, l'intégralité des sages-femmes de la maternité était également en arrêt maladie pour épuisement professionnel, forçant les Nivernaises à accoucher dans les départements alentours durant quelques jours.

Même constat dans les Vosges, en Gironde, ou encore dans les Pyrénées-Atlantiques"Il y a de l'épuisement et un manque de reconnaissance, constate Rémi Salomon. Donc, au bout d'un moment, les gens disent : 'Moi, je préfère me préserver, préserver ma vie familiale, ma vie personnelle. Je ne peux pas continuer de m'épuiser comme ça'."

"Il y a un phénomène de 'grand renoncement' avec des personnels qui sont totalement désabusés et qui n'adhèrent plus à l'idée collective et fédérative qu'est l'hôpital public, analyse Patrick Pelloux dans Ouest-France. Le système a été déstabilisé et les personnels ont été un peu abandonnés après avoir énormément travaillé."

Parce que la fuite des soignants est structurelle

Depuis l'automne 2021, la fuite du personnel médical et paramédical dans tous les services hospitaliers, dont les urgences, est difficile à contenir. En cause : une crise des vocations et l'épuisement des soignants restants, qui doivent assurer leur travail après deux ans de pandémie de Covid-19 et de nombreux départs de l'hôpital public. "Il y a, dans chaque hôpital, des lits qui sont fermés par manque de personnel. Et donc il y a 10%, 15%, 20%, parfois plus, de lits fermés", estime Rémi Salomon. Selon une enquête flash conduite par la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) publiée en décembre, l'hôpital a perdu, pour le seul mois d'octobre, 784 infirmières (dont 568 dans le public et 216 dans le privé), relevait alors Le Figaro (article payant).

"Il manque des effectifs dans les organisations de travail où on fait travailler des gens à plein régime sur des gardes de 12 heures, voire de 24 heures pour certains médecins. On les amène à l'épuisement ou au départ", s'indigne sur franceinfo Gilbert Mouden, infirmier anesthésiste et représentant du personnel Sud Santé Sociaux à Bordeaux.

Rappels sur les jours de congés, travail de nuit, situations de stress... Des conditions de travail difficiles et faiblement rémunérées sont régulièrement dénoncées pour justifier les départs de membres du personnel. Malgré les revalorisations salariales de 183 euros net par mois, permises par le Ségur de la santé, pour une infirmière, une garde nocturne ne rapporte que 10,70 euros brut de plus sur son salaire, selon le DRH d'un hôpital public joint par franceinfo. "C'est ridicule ! s'indigne sur franceinfo Rémi Salomon. La contrainte n'est pas suffisamment rémunérée. C'est la première mesure que le prochain ministre de la Santé doit prendre."

Si, pendant de nombreuses années, le phénomène a davantage touché les zones rurales ou peu attractives, il concerne désormais l'ensemble de l'Hexagone. "On manque de médecins urgentistes et on a des difficultés à les retenir", analyse François Crémieux, à la tête de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) dans Libération. "A Marseille, c'est la concurrence avec le secteur libéral et les cliniques lucratives qui déstabilise le plus les équipes alors que les professionnels de santé ne manquent pas. Les urgences de la Timone ne devraient pas être en difficulté !"

Parce que, faute de médecins en ville, les patients se tournent vers l'hôpital

Enfin, si les urgences sont particulièrement touchées, c'est aussi parce qu'elles prennent en charge tous les patients, y compris ceux qui ne devraient pas directement frapper à ses portes. Notamment les patients dépourvus de médecin traitant. "La médecine de ville, libérale, est en crise : il n'y a pas assez de médecins généralistes, donc les gens se tournent vers les urgences", explique à France 3 Centre-Val de Loire, Matthieu Lacroix, porte-parole des médecins urgentistes en grève d'Orléans.  

Un constat partagé par Rémi Salomon. Selon lui, si on veut assurer la continuité des soins cet été, il faudra "que tous les soignants, en ville et à l'hôpital, participent" à l'effort collectif. "A certains endroits, il faudra raccourcir les vacances", prévient-il. Mais cet effort ne devra pas seulement porter sur les épaules des soignants de l'hôpital et des médecins généralistes, prévient Patrick Pelloux. "Il faut obliger tous les médecins, y compris des cliniques privés, à participer à la permanence de soins." 

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