Baisse des prix du pétrole : "À ces prix de 20, 30 dollars le baril, le pétrole devient atrocement compétitif", commente un économiste
"Atrocement" car il remet en cause "l'équilibre des biocarburants", s'inquiète Philippe Chalmin, professeur à l’université Paris Dauphine.
Les cours du pétrole dégringolent, comme à la bourse de New York où le baril américain a coté lundi -37 dollars. "La seule chose que je regrette, c'est qu’à ces prix de 20, 30 dollars le baril, le pétrole devient atrocement compétitif. Quand je dis atrocement, c'est qu'il remet en cause l'équilibre des énergies renouvelables", s'explique mardi 21 avril sur franceinfo Philippe Chalmin, économiste et professeur à l’université Paris Dauphine.
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franceinfo : Que s’est-il passé ce lundi sur les cours du pétrole aux États-Unis ?
Philippe Chalmin : Hier soir, le contrat de mai du marché à terme de New York, qui cote le pétrole brut américain s'est clôturé à moins 37 dollars. Mais j’ai dit le contrat de mai. C’est-à-dire le pétrole, qui était immédiatement disponible puisque le jour de clôture de ce contrat passait précisément aujourd'hui, mardi 21 avril. On a eu une crise. Vous avez des gens qui ont acheté du pétrole, qui étaient en position acheteurs. Normalement, ils devaient prendre livraison de ce pétrole aujourd'hui. Il se trouve qu'à l'endroit où normalement on prend livraison du pétrole aux États-Unis ils n'avaient pas d'endroit où recevoir ce pétrole. Il y a énormément de stocks de pétrole, tout simplement parce que la consommation a diminué. La consommation d'essence a diminué de moitié, la consommation de kérosène pour les avions a diminué des trois quarts. Donc, il y a des stocks partout. C’est un peu une sorte de manipulation technique à laquelle se sont livrés probablement quelques spéculateurs, investisseurs et opérateurs. Il y avait des gens qui, curieusement, avaient attendu jusqu'au dernier moment en se disant : 'Je vais prendre livraison du pétrole'. Manque de chance, ils n’avaient pas de lieu où stocker ce pétrole. Donc, ils ont été obligés de revenir sur le marché en disant : 'Je ne peux pas l'acheter'. Attention, vous avez pris un engagement si vous ne pouvez pas l'acheter, à ce moment-là, il faut que, d'une manière ou d'une autre, vous sortiez du marché. Ceux qui étaient en face d'eux ont usé de la situation et on est arrivé à ce prix négatif de 37 dollars qui ne reflète pas la réalité du marché du pétrole. Aujourd’hui, le pétrole vaut 20 dollars. Le pétrole sur les échéances de juin et un peu plus tard aux États-Unis, vaut 20 dollars. En Europe, puisque le vrai indice pour nous Européens, c'est le baril de Brent de la mer du Nord, il valait hier soir 29 dollars 93, donc un peu moins de 30 dollars.
Il n'y a pas de risque de contagion aujourd'hui de ces phénomènes de spéculation que vous venez de décrire. Doit-on s'attendre à une dégringolade généralisée des cours du pétrole ?
Ils ont déjà dégringolé. Je vous rappelle qu’au début de l'année, on a été au maximum à 70 dollars. Donc, le prix du pétrole va se balader dans les jours, dans les semaines à venir, quelque part entre 20 et 30 dollars, parce qu'effectivement, quand même les pays producteurs ont pris des résolutions et que d'autre part, à ces prix-là, c'est la bérézina aux États-Unis. Les prix sont inférieurs aux coûts de production et là, il n'y a pas de subventions. Donc, un certain nombre d'entreprises font faillite. On réduit la production. Donc, il va y avoir quand même un temps d'ajustement.
Même si ça nous intéresse moins aujourd'hui puisque nous ne prenons plus les voitures, confinement oblige, globalement, nous devrions vivre avec du pétrole qui coûterait à peu près un tiers de ce qu'il coûtait l'année dernière à cette époque.
Philippe Chalmin, économiste et professeur à l’université Paris Dauphineà franceinfo
Ce prix très bas du pétrole est-il une bonne nouvelle pour l’économie ?
Ce n'est pas une très bonne nouvelle pour tous les pays producteurs. Ce n'est pas forcément une très bonne nouvelle pour la croissance économique mondiale. Je vous rappelle qu'on était à 147 dollars le baril le 10 juillet 2008. Les excès vers le haut et les excès vers le bas ne sont jamais très favorables à une croissance harmonieuse.
Les prix vont-ils à nouveau s'envoler avec la reprise de l’activité à la fin du confinement ?
Non, les prix ne s'envoleront pas pour la bonne raison que même avant le coronavirus, nous étions sur un marché qui était quand même excédentaire parce que, justement, il y avait cette montée en puissance de la production américaine. On a vécu quand même à l'automne, on a déjà oublié, des tensions géopolitiques dans le golfe arabo-persique considérables. Souvenez-vous, au mois de septembre, l'attentat contre les installations pétrolières saoudiennes. Mais même avec ces tensions, on se disait peut-être que le détroit d'Ormuz va être fermé, le pétrole était monté au maximum à 70 dollars. C'est que le marché était excédentaire. La seule chose que je regrette, c'est qu’à ces prix de 20, 30 dollars, le baril, le pétrole devient atrocement compétitif. Quand je dis atrocement, c'est qu'il remet en cause l'équilibre des énergies renouvelables. Il remet en cause les équilibres des biocarburants. Paradoxalement, les produits qui sont le plus touchés aujourd'hui par la baisse du prix du pétrole, c'est le maïs. Aux États-Unis, la principale destination du maïs, c'est de faire du bioéthanol. C'est le sucre parce que c'est aussi le cas au Brésil où on va faire avec la canne à sucre plus de sucre qu'autrefois d'alcool.
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