Confinement et risque suicidaire : "Le directeur général de la Santé et le ministre de la Santé sont borgnes", dénonce le psychiatre Michel Debout
Le professeur de médecine légale et membre de l'Observatoire national du suicide, préconise l'instauration, sur le même modèle que le conseil scientifique, d'un conseil dédié à la prévention des risques psycho-sociaux.
Alors que la France vit au rythme d'un nouveau confinement pour lutter contre le Covid-19, une enquête de la Fondation Jean-Jaurès "Les Français et le suicide", réalisée par l'Ifop et que révèle franceinfo vendredi 6 novembre, met en lumière les conséquences psychologiques de la crise sanitaire sur les Français. Selon cette étude, parmi les 20% de personnes interrogées qui déclarent avoir déjà envisagé sérieusement de se suicider dans leur vie, 11% déclarent l'avoir envisagé durant la période du premier confinement et 17% depuis sa fin.
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"Le directeur général de la Santé et le ministre de la Santé sont borgnes" car "ils regardent la crise sanitaire d'un seul œil : l'oeil du virus", a affirmé vendredi sur franceinfo Michel Debout, psychiatre, professeur de médecine légale et membre de l'Observatoire national du suicide, et co-auteur de l'étude de la Fondation Jean Jaurès. Pour Michel Debout, la crise sanitaire n'est pas regardée "du côté de la crise économique et sociale, qui crée beaucoup de dégâts". Il préconise que, face au conseil scientifique qui suit l'évolution du virus, il y ait "un deuxième conseil" pour prendre en charge "tous les problèmes de santé que connaît aujourd'hui la société française".
franceinfo : Qu'est-ce qu'il ressort de cette étude ?
Michel Debout : Pendant le confinement, le risque suicidaire a plutôt eu tendance à baisser, ou en tout cas à se stabiliser, parce qu'il y avait l'expression d'une grande solidarité entre les Français. On était tous traités de la même façon. On était tous confinés. Et ceux qui travaillaient, travaillaient pour nous. Cette solidarité, c'est une des meilleures réponses aux pensées suicidaires, aux pensées négatives, à la dépression. Donc, on comprend pourquoi, dans cette première phase, il n'y a pas eu un risque suicidaire élevé. Je considère que le directeur général de la Santé et le ministre de la Santé sont borgnes. C'est à dire qu'ils regardent la crise sanitaire, d'une ampleur sans précédent, d'un seul œil : l'oeil du virus. Mais il faut les regarder aussi du côté de la crise économique et sociale, qui crée beaucoup de dégâts et qui se complique à ce qu'on appelle les risques psycho-sociaux. Il y a plusieurs catégories de la population qui sont dans ces risques. Il y a évidemment les chômeurs, et on sait qu'il va y avoir encore plus de chômeurs. On parle même d'un million de chômeurs supplémentaires dans les mois qui viennent.
Rien n'est fait pour la santé des chômeurs. Je parle aussi des artisans-commerçants, des directeurs de petites entreprises. Ces personnes-là ont aussi un risque suicidaire accru.
Michel Debout, psychiatreà franceinfo
Lorsqu'on sait que ces catégories sociales sont à risque grave ou de pensées suicidaires, cela veut dire que demain, il y aura peut-être un passage à l'acte suicidaire. Certes, il y a des mesures économiques qui sont prises. Je n'ai pas à les juger. Par contre, pourquoi aucun accompagnement ? Pourquoi on ne parle jamais de cette menace, notamment de dépôt de bilan ? Quand on a consacré sa vie à créer un petit commerce et qu'un jour, on doit déposer le bilan. Alors, on n'est pas seulement dans une détresse financière et économique mais on est dans une détresse personnelle, psychologique et émotionnelle.
Vous évoquez la solidarité du premier confinement qui a été rude à vivre pour certaines personnes. Là, il y a un isolement plus fort ?
Oui, un isolement plus fort. Et encore une fois, ce n'est pas le virus lui-même, ce sont les conséquences du virus. Ce sont les conséquences économiques, sociétales. Ce qu'on appelle le deuxième confinement, ce n'est pas du tout le même confinement que le premier. Au premier on a dit aux Français, tous à domicile, sauf les soignants. Et aujourd'hui, on dit l'inverse. On dit tous au travail, sauf certaines catégories. Et ceux-là, ils ne comprennent pas pourquoi cette différence. Ils ne comprennent pas ce qu'ils vivent comme une espèce de discrimination, comme s'ils étaient coupables de quelque chose, alors qu'en plus ils ont pris toutes les mesures pour que cela se passe bien dans leurs magasins.
Et il y a les jeunes qu'on a montrés du doigt. Quand on est jeune, on a besoin de rencontrer, on a besoin de partager, on a besoin d'avoir des projets.
Michel Deboutà franceinfo
Et bien ces jeunes, voyez comment ils sont traités dans les universités. Mais comment respecter les distances sociales quand les amphis sont trop petits, quand les cours se font dans des mauvaises conditions ? Et puis il y a ceux qui sont un peu plus âgés, ceux qui vont commencer leur travail en étant chômeurs, ou qui ont du mal à trouver un stage.
Face à cette réalité, peut-on améliorer les instruments de prévention du suicide. Est-ce une nécessité aujourd'hui, une urgence ?
Bien sûr. Ca fait des mois que j'en parle. Je vous ai parlé de la santé des chômeurs. Ça fait cinq ans que j'ai sorti un ouvrage pour en parler. Rien n'a été fait depuis cinq ans. La France n'a pas la culture de la prévention. Nous sommes au dix-neuvième rang des pays européens en termes de prévention. On a un Conseil scientifique pour le virus avec des virologues, des infectiologues. C'est très bien. J'ai proposé il y a plusieurs mois qu'il y ait un deuxième conseil qui se mette en place avec des médecins généralistes, avec des psychologues, avec des psychiatres, des infirmiers, avec des associations, pour qu'on fasse des préconisations, des propositions aux pouvoirs publics, pour qu'encore une fois, cette santé marche sur les deux jambes. Pas seulement la jambe du virus, mais la jambe de tous les problèmes de santé que connaît aujourd'hui la société française
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