Coronavirus : il y a "une augmentation des dépressions du fait des conséquences psychiatriques du confinement", alerte une psychiatre
"Les conséquences psychiatriques du confinement et de la pandémie sont devant nous", analyse la docteure Marion Leboyer.
La deuxième vague du coronavirus pourrait être d'ordre psychiatrique. Dépression, troubles de l'anxiété, épuisement... Les trois derniers mois ont été traumatisants pour de nombreux Français, si bien que le nombre de consultations en psychiatrie augmente. Des professionnels du secteur de la santé mentale réclament notamment des moyens supplémentaires pour répondre au phénomène.
La docteure Marion Leboyer, psychiatre au CHU Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne) et directrice de la fondation FondaMental, encourage toute personne qui a été atteint par le Covid-19 et qui ressent "une grande fatigue, une tristesse de l'humeur, à des troubles du sommeil" à se faire diagnostiquer. Le fait d'avoir été atteint par le coronavirus peut effectivement entraîner dans un deuxième temps un épisode dépressif.
franceinfo : Assistez-vous à une augmentation des consultations psychiatriques depuis le début de l'épidémie ?
Marion Leboyer : Effectivement, les conséquences psychiatriques du confinement et de la pandémie sont devant nous et on constate actuellement que chez des personnes qui n'ont jamais été malades auparavant, il y a une augmentation des dépressions, des pathologies anxieuses qui sont vraisemblablement consécutives aux situations difficiles qui ont été vécues pendant le confinement, à l'anxiété, au stress, au deuil que certains ont éprouvé et aux situations très douloureuses que des personnes, par exemple, les soignants, ont vécu pendant la pandémie.
On s'attend aussi à ce que des difficultés économiques, financières qui sont devant nous augmentent également ces situations qui sont très à risque de pathologie dépressive et anxieuse. Et puis, chez les personnes qui ont été infecté par le Covid-19, on sait qu'il risque de persister une inflammation qui peut faire le lit de la dépression. On sait bien que les patients que nous rencontrons, qui ont été infectés, se plaignent d'une très grande fatigue. Il faut, devant ces situations de fatigue persistante, penser à dépister une dépression.
Les symptômes peuvent-ils être différents selon les personnes ?
Les symptômes ne sont pas forcément différents. C'est juste que ce sont des personnes qui n'ont jamais été malades. Cela a déjà été décrit lors des grandes pandémies du début des années 2000, lors du Sars par exemple. Il y a eu une augmentation à peu près de 30% des dépressions. Il faut penser chez ces personnes à dépister, à diagnostiquer une dépression, quand cette très grande fatigue qui est décrite chez un très grand nombre de personnes qui ont été infectées est associée à une tristesse de l'humeur, à un manque d'énergie, de motivation, à une absence de plaisir, à des troubles du sommeil.
Il faut vraiment penser, chez des gens qui n'ont jamais été déprimés auparavant, à les inciter à aller consulter leur médecin traitant, voire un psychiatre, pour faire le diagnostic et traiter ces pathologies qui se diagnostiquent et se traitent très bien si le diagnostic, bien sûr, est porté.
A-t-on une idée aujourd'hui de l'ampleur de ce phénomène ?
Les données sont à venir. Par exemple, nos collègues italiens ont décrit une augmentation actuelle de 30% d'épisodes dépressifs chez des personnes qui ont eu une infection par le Covid-19. On a besoin en France de soutien à la recherche en psychiatrie. C'était l'objet du manifeste que nous avons publié pour dire que la recherche doit faire une évaluation et répondre à votre question avec précision, c'est-à-dire savoir combien personnes ont une dépression. Quelles sont les conséquences du confinement ? Quels sont les types de pathologies qui a été observées chez des patients présentant un Covid-19 ? Bref, toute une série de questions qu'il faut documenter et évaluer.
Est-ce qu'il n'y a pas eu un phénomène de surcharge mentale des parents qui, pendant le confinement, ont dû gérer à la fois le télétravail, la vie à la maison et l'école des enfants ?
Absolument. On a ouvert la fondation FondaMental, une plateforme qui s'appelle Covid écoute. On a constaté deux éléments qui confortent tout à fait ce que vous venez de dire. D'une part, deux tiers des appelants qui étaient malades pour la première fois de leur vie, présentant une dépression, des troubles anxieux étaient des primo-consultants. Et parmi ces primo-consultants, plus de 69% d'entre eux étaient des femmes qui avaient eu à vivre des situations difficiles à gérer à la maison à cause du confinement : le télétravail, les enfants, la maison, quelquefois des situations de violence. Toutes ces situations très difficiles à vivre ont fait le lit chez des personnes vulnérables de pathologies qu'il faut maintenant prendre en charge.
Je crois aussi que l'incertitude économique, l'incertitude financière, la peur du chômage qui est à attendre dans les semaines à venir est aussi quelque chose qui va faire le lit de phénomènes dépressifs et anxieux. Le système de santé, d'une façon générale, est fragilisé aujourd'hui. Et particulièrement la psychiatrie. On a signalé à plusieurs reprises la fragilité de ce système et c'est sûr qu'en période de crise, un système fragile risque de ne pas pouvoir répondre aux enjeux actuels. C'est le cas de la psychiatrie.
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