Coronavirus : la consommation de chauve-souris à Wuhan est-elle à l'origine de l'épidémie en Chine ?
Des vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux avancent cette théorie. Le nouveau coronavirus apparu à Wuhan pourrait être certes d'origine animale, mais la source initiale de la contamination n'a pas été formellement identifiée à ce jour.
Une jeune femme croque du bout des dents dans l'aile d'une chauve-souris. Un chiroptère baigne dans un grand bol de bouillon sur la table d'un restaurant. Ces deux courtes vidéos ont été vues et partagées des millions de fois sur les réseaux sociaux. Pour de nombreux internautes, il n'en a pas fallu plus pour conclure que ce mets surprenant, parfois même présenté comme une "spécialité locale", servie sur un marché de Wuhan et appréciée des Chinois, était responsable de l'apparition de l'épidémie de coronavirus 2019-nCoV dans cette ville du centre de la Chine. Dans le live de franceinfo, vous nous avez interrogés sur cette théorie. Alors, vrai ou "fake" ?
#CoronavirusOutbreak may be linked to bat soup sold at Wuhan market
— EHA News (@eha_news) January 23, 2020
It has been claimed that the deadly strain shares a common ancestor with a virus found only in fruit bats.
Bat soup is reported to be an unusual but popular dish particularly in Wuhanpic.twitter.com/prGVZshyQ0
这东西长得像不像死神躺在你碗里?之前看纪录片,蝙蝠生活在山洞里,就地排泄,山洞里积了厚厚一层粪便,粪便里生活着各种恶心的虫子…经历这次事件能让中国人彻底放弃吃野味吗? pic.twitter.com/6mNQmBWCpi
— 陈秋实(陳秋實) (@chenqiushi404) January 22, 2020
D'où viennent ces vidéos ?
Parmi les vidéos devenues virales l'une, reprise par le Daily Mail, n'a en réalité pas été filmée à Wuhan, mais sur une île des Palaos, un archipel micronésien, dans l'ouest de l'océan Pacifique ,selon son autrice. La séquence de dégustation a même été tournée il y a plus de trois ans, en mai 2016. Sa protagoniste, Wang Mengyun, l'explique dans "une lettre d'excuses", relayée par le South China Morning Post (en anglais). Cette influenceuse chinoise, très suivie pour ses récits de voyages en vidéo sur internet, y raconte avoir reçu des messages haineux, après que sa vidéo a refait surface en pleine épidémie de coronavirus. La jeune femme déplore que son image ait été détournée.
"La vidéo a été tournée en 2016 et diffusée en 2016-2017", explique l'influenceuse. "Récemment, elle a été détournée par certains internautes soufflant sur les braises et attisant une panique malsaine", dénonce-t-elle. "Lors du tournage de la vidéo, je ne savais vraiment pas qu'il y avait un virus. Je ne l'ai su que récemment", se justifie Wang Mengyun. "Dans la vidéo, les chauves-souris sont élevées par la population locale, elles ne sont pas sauvages. De nombreux pays à travers le monde en mangent. C'est un plat ordinaire dans de nombreux pays, mais c'est aussi une chauve-souris, je ne peux pas le nier", poursuit-elle.
Le Guide du Routard suggère d'ailleurs aux "estomacs les plus aventureux" de "goûter la viande de chauve-souris" aux Seychelles ou encore au Laos et en Nouvelle-Calédonie, où la roussette "est un mets apprécié dans les tribus et se déguste essentiellement en ragoût".
Mais, même si des commerçants sont bel et bien soupçonnés d'avoir vendu illégalement des animaux sauvages et exotiques vivants sur le marché aux fruits de mer de Wuhan, suspecté d'être l'épicentre de l'épidémie, comme le relatent Les Echos, franceinfo n'a pour l'heure trouvé nulle trace d'un restaurant mettant à sa carte un plat à base de chauve-souris à Wuhan. Nous ne sommes pas parvenus en revanche à déterminer où et quand les autres vidéos ont été filmées.
Pourquoi la chauve-souris est-elle soupçonnée d'avoir transmis le virus aux humains ?
La rumeur d'une contamination par l'ingestion de viande de chauve-souris s'est trouvée confortée par l'hypothèse faite dans une étude (en anglais) publiée dans la revue de l'Académie chinoise des sciences mardi 21 janvier. Des chercheurs chinois ont réalisé une analyse génétique du nouveau coronavirus de Wuhan. Il en résulte qu'il est très similaire à celui du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) et à d'autres coronavirus semblables. Or, ces virus étaient apparentés à d'autres coronavirus présents chez des chauves-souris – des roussettes et des pipistrelles notamment. Pour les auteurs de l'étude, il est donc "probable" que le nouveau coronavirus partage avec le Sras "un ancêtre commun" qui "ressemble" à l'un des coronavirus identifiés sur les chauves-souris.
"Par conséquent, écrivent les scientifiques, que les chauves-souris soient le réservoir du coronavirus de Wuhan serait le raisonnement logique et pratique, bien qu'il soit probable qu'il y ait des hôtes intermédiaires dans la cascade de transmissions des chauves-souris aux humains." Le petit mammifère aurait par exemple pu transmettre la maladie à un autre animal et celui-ci aurait pu à son tour infecter un humain qui aurait ingéré sa chair contaminée. Voilà pour le scénario théorique.
Est-ce la seule hypothèse sur l'origine de l'épidémie ?
Dans le cas du Sras, hérité de la chauve-souris, l'animal responsable de la contamination humaine était la civette, mammifère dont la viande est appréciée en Chine. "C'est en interdisant la consommation de civettes et en fermant les fermes d'élevage qu'on avait pu prévenir toute réintroduction" du Sras, rappelle à l'AFP Arnaud Fontanet, de l'Institut Pasteur, à Paris.
Cette étude chinoise suggérant que la chauve-souris puisse être le réservoir du virus est toutefois contredite par une autre étude chinoise, parue le lendemain, mercredi 22 janvier, dans le Journal of Medical Virology (en anglais). Celle-ci conclut que le serpent est le réservoir animal "le plus probable" du nouveau coronavirus. D'après ces travaux, le 2019-nCoV serait une combinaison d'un coronavirus de chauve-souris et d'un coronavirus de serpent. De plus, estiment les auteurs, le reptile pourrait être directement responsable de la contamination de l'homme, soit au contact d'un serpent vivant, soit par sa consommation, par exemple.
Interrogé par Wired (en anglais), un zoologiste renommé de l'université de Sydney, Edward Holmes, juge "totalement absurde" cette seconde hypothèse. "Il y a autant de raisons de penser que les serpents ont été des intermédiaires que de m’entendre dire sur un coup de tête que ce sont en fait les oiseaux qui sont responsables", assène, dans le même article, un épidémiologiste de l'université de Yale, Nathan Grubaugh.
En France, l'Institut Pasteur est tout aussi prudent sur l'origine de l'épidémie. "La majorité des cas initialement décrits concernait des personnes ayant fréquenté un marché d'animaux vivants. L'hypothèse d'une zoonose (maladie transmise par les animaux) est donc privilégiée", explique l'organisme de recherche médicale. Par conséquent, "le réservoir de virus est probablement animal". Pour autant, "même si le 2019-nCoV est très proche d'un virus détecté chez une chauve-souris, l'animal à l'origine de la transmission à l'homme n'a pas encore été identifié avec certitude". On ne sait donc pas encore quel animal a transmis le nouveau coronavirus à l'homme. Mais en attendant de le connaître, la Chine a interdit le commerce de tous les animaux sauvages.
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