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Coronavirus : le confinement a-t-il vraiment été efficace contre l'épidémie de Covid-19 ?

Faute d'une politique massive de test et de traçage des cas dès le début de l'épidémie, le confinement a été nécessaire. Cette mesure radicale a permis de reprendre le contrôle de la crise sanitaire. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Un panneau annonçant l'obligation de porter un masque à l'entrée du métro à Paris le 1er juin 2020. (MARTIN NODA / HANS LUCAS / AFP)

Fallait-il vraiment confiner la France entière pour faire face à l'épidémie de coronavirus ? Cette mesure a-t-elle réellement freiné la propagation du Covid-19, évitant des milliers de morts supplémentaires ? N'y avait-il pas de meilleures solutions ? Plus d'un mois après sa levée, le confinement est la cible d'un procès en inefficacité. A l'Assemblée nationale aussi, la commission d'enquête sur la gestion de la crise s'interroge. Mais ces critiques formulées notamment sur les réseaux sociaux disent-elles vrai ou "fake" ? 

"Une mesure de dernier ressort"

"Lorsque vous ouvrez les manuels de santé publique, la plupart expliquent que le confinement généralisé à l'ensemble de la population est toujours une solution que l'on veut éviter au cours d'une pandémie, constate Patrick Pintus, enseignant-chercheur en économie à l'université Aix-Marseille, qui travaille sur l'épidémie de Covid-19 au sein d'une équipe pluridisciplinaire. Il y a d'autres solutions plus efficaces pour limiter les effets d'une pandémie."

A la fin février, la Corée du Sud était le deuxième pays le plus touché par l'épidémie, après la Chine. Mais Séoul est parvenu à maîtriser la situation, sans avoir à recourir au confinement. Une vaste campagne de tests a permis de détecter et d'isoler les personnes infectées, et le traçage systématique de leurs contacts a limité la propagation du virus. Début mai, le pays ne comptait que 279 morts et un peu moins de 12 200 cas de contamination. "C'était vraiment la politique qui devait être suivie, à condition d'être capable de le faire", observe Patrick Pintus. Un avis partagé par Pascal Crépey, enseignant-chercheur à l'Ecole des hautes études en santé publique à Rennes.

Cela fait un mois qu'on n'est plus en confinement et l'épidémie reste sous contrôle. C'est la meilleure preuve que le confinement n'est pas la seule solution.

Pascal Crépey, épidémiologiste

à franceinfo

Singapour, Taïwan, Hong Kong, le Japon ou la Nouvelle-Zélande sont également cités en exemples par Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale de l'université de Genève. Après l'épidémie de H1N1 en 2009, ces pays "sont restés dans un état d'alerte et de vigilance tel qu'ils se sont précipités sur les premiers cas arrivant chez eux de façon beaucoup plus active que les pays européens qui voyaient cette menace de très loin", analyse le professeur de santé publique. 

Pendant les premiers mois de l'épidémie, "Singapour est parvenu à contenir le tsunami par des mesures de distanciation sociale personnalisées, de testing, de tracing et de quarantaine, souligne Antoine Flahault. Mais lorsqu'en avril, l'épidémie a ressurgi de l'intérieur, de cités-dortoirs de travailleurs immigrés précaires, Singapour a introduit des mesures de confinement, sans hésiter, comme une sorte de réponse graduée." "Le confinement, ce n'est pas la panacée. Cela doit rester une mesure de dernier ressort", estime Pascal Crépey.

"Il n'y avait plus d'autre solution" en France

Si la France, comme ses voisins européens, a décidé de confiner sa population à la mi-mars, c'est parce que, "dans l'urgence et l'état d'impréparation" dans lesquels elle se trouvait, "il n'y avait plus d'autre solution pour infléchir la courbe épidémique", jugent les experts interrogés par franceinfo. 

"Au moment où on a confiné, le niveau de circulation du virus était bien plus important", rappelle Pascal Crépey, soulignant que les conditions matérielles ne laissaient guère d'autre choix.

On n'avait pas assez de masques pour la population, les capacités de test étaient limitées et tout le dispositif de traçage des cas contacts mis en place ensuite était débordé par le nombre de cas déclarés.

Pascal Crépey, épidémiologiste

à franceinfo

"Malgré cette mesure drastique, on a quand même été obligés de transférer plus de 600 patients d'Ile-de-France et du Grand Est, les capacités de réanimation étant dépassées", poursuit l'épidémiologiste. "Il aurait même fallu confiner plus tôt", estime-t-il "avec le recul". Pascal Crépey reconnaît toutefois que "ce genre de décision est difficile à prendre". "Au moment où le confinement a été décrété, les signaux étaient encore relativement faibles. Il y a une quinzaine de jours d'inertie entre le moment où les infections ont lieu et celui où on voit arriver les malades à l'hôpital." Or, note Antoine Flahault, "à partir d'un certain seuil, il n'est plus possible de casser les chaînes de transmission à la racine de façon systématique et chirurgicale".

Une efficacité mesurée par des modèles mathématiques

Le confinement repose sur une règle basique de statistiques et de probabilités. "En réduisant le nombre de contacts par individu, on réduit mécaniquement le risque de transmission du virus, donc on a un impact sur l'évolution de l'épidémie", résume Pascal Crépey. A l'aide de modèles mathématiques, de nombreuses équipes de chercheurs ont tenté de chiffrer l'effet des mesures de distanciation (interdiction des rassemblements, limitation des déplacements, fermeture des frontières et des écoles, confinement de la population, isolement des malades et des cas contacts, etc).

A partir du nombre de morts recensées par le Centre européen de prévention et contrôle des maladies et du taux de reproduction du virus (le nombre de nouvelles personnes contaminées par chaque personne infectée, aussi appelé R0) avant le confinement, l'Imperial College de Londres a ainsi calculé le nombre de décès qui auraient pu survenir si aucune disposition n'avait été prise face à l'épidémie dans onze pays européens (l'Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l'Allemagne, l'Italie, la Norvège, l'Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni). D'après cette étude parue dans la revue Nature* début juin, 3,1 millions de morts supplémentaires ont été évitées. Ces mesures de distanciation sociale d'intensités diverses ont abouti à une baisse de 82% en moyenne du taux de reproduction du virus, permettant de le ramener en dessous de 1, le seuil en-deçà duquel le nombre de nouveaux cas diminue.

L'Arc de triomphe à Paris durant le confinement, le 26 avril 2020. (CARINE SCHMITT / HANS LUCAS / AFP)

Sans mesures prises par les pouvoirs publics pour enrayer la contagion, la France aurait compté 1,4 million de cas confirmés en plus (ce qui correspondrait à 45 millions de personnes infectées par le virus), d'après les estimations de chercheurs de l'université américaine de Berkeley dont les travaux sont parus dans Nature* début juin. Une telle situation épidémique se serait soldée par plus de 214 000 morts français d'après ce scénario catastrophe. Ces modélisations de type prédictif ne font toutefois pas l'unanimité au sein de la communauté scientifique, dont une partie estime que les modèles mathématiques employés aboutissent à des résultats trop alarmistes. Les modélisations de type rétrospectif font, elles, moins débat.

Les travaux dirigés par une équipe de l'Institut Pasteur, publiés dans la revue Science* mi-mai, concluent eux aussi à un "impact massif" du confinement sur l'évolution de l'épidémie en France. Le R0 de l'épidémie a été réduit de 77%, chutant de 2,90 à 0,67. Entre fin mars et début mai, les hospitalisations sont passées de 3 600 à 357 par jour, les admissions quotidiennes en soins intensifs sont tombées de 700 à 66. Quant aux nouvelles infections, elles ont considérablement diminué, dégringolant de 150 000 à 390 000 chaque jour avant le confinement à 2 600 à 6 300 après, selon les projections.

Le résultat de cette modélisation sur le taux de reproduction est proche des projections*, prépubliées mi-avril, de l'EPIcx lab*, un groupe de recherche dirigé par Vittoria Colizza, de l'Inserm. Les équipes du CNRS, de l'IRD et de l'université de Montpellier, dirigées par Samuel Alizon, sont parvenues à un constat similaire

Le confinement a permis de ramener la situation sanitaire à quelque chose de gérable en termes de circulation du virus, mais il a aussi permis de gagner du temps pour augmenter les capacités de test et permettre aux Français de s'équiper en masques.

Pascal Crépey, épidémiologiste

à franceinfo

"Les mesures de confinement ont en moyenne été très efficaces pour aplanir la 'courbe pandémique' et réduire le nombre de décès", confirment des économistes du Fonds monétaire international dans une revue sur le Covid-19*, éditée mi-mai par le Centre pour la recherche en politique économique de Londres. 

Les contre-exemples suédois, américain et brésilien

Pour les experts interrogés par franceinfo, la meilleure preuve de l'efficacité du confinement est apportée par les contre-exemples. La Suède est l'un des rares pays en Europe à ne pas l'avoir imposé. Les commerces comme les écoles sont restés ouverts. Le royaume nordique affiche un taux de contamination et de mortalité par habitant plus élevé que ses voisins, avec plus de 53 000 cas détectés, plus de 4 900 morts, soit plus de 521 cas et 48 morts pour 100 000 habitants. 

Courbes des décès dûs au Covid-19 par pays pour 100 000 habitants. (FRANCEINFO)

Aux Etats-Unis et au Brésil, les deux pays les plus touchés désormais, la première vague épidémique n'en finit pas. Les Etats américains se sont confinés dans le désordre, et certains se sont déconfinés trop tôt, le président Donald Trump appelant à faire repartir l'économie sur fond de récession. D'un bout à l'autre du pays, plus d'une douzaine d'Etats enregistrent en ce moment leur plus grand nombre de nouveaux cas depuis le début de l'épidémie. 

Au Brésil, le président Jair Bolsonaro compare le virus à une "petite grippe", rejette les mesures de confinement mises en œuvre par les autorités dans certains Etats et certaines villes, et multiplie les bains de foule. Résultat, les Etats-Unis comptent plus de 2 137 000 cas et plus de 116 900 morts, soit plus de 649 cas et 35 morts pour 100 000 habitants. Au Brésil, on dénombre plus de 923 000 cas et 45 200 morts, soit plus de 437 cas et 21 morts pour 100 000 habitants.

Le confinement a montré son efficacité partout où il a été mis en place.

Antoine Flahault, épidémiologiste

à franceinfo

Si le confinement a bel et bien permis d'aplatir la courbe de l'épidémie, "plusieurs études montrent cependant qu'il n'y a pas de grande valeur ajoutée au confinement strict, autoritaire, à la chinoise, appliqué par les Français, les Espagnols et les Italiens, par rapport à un semi-confinement plus libéral, appliqué en Suisse, en Allemagne ou en Autriche par exemple", relève Antoine Flahault.

L'explication serait cette fois d'ordre culturel. "Il y a eu en Suisse, en Allemagne et en Autriche un autoconfinement, moins centralisé, plus discipliné, qui est venu des citoyens eux-mêmes", explique Patrick Pintus, pour qui "la réaction de la population est aussi importante pour lutter contre la progression d'une épidémie que la mesure de santé publique adoptée par les autorités".

Le confinement seul ne suffit pas

Si le confinement est efficace, il l'est encore plus lorsqu'il est associé à une politique de testing et de tracing poussée. "Les Allemands et les Suisses ont fait du testing et du tracing plus précocement et plus intensément que les Français", note Antoine Flahault. Et leurs bilans épidémiques sont bien meilleurs. La Suisse recense plus de 31 000 cas et plus de 1 600 morts, soit plus de 363 cas et plus de 19 morts pour 100 000 habitants. L'Allemagne dénombre 187 000 cas et 8 800 morts, soit un peu plus de 225 cas et 10 morts pour 100 000 habitants. La France, elle, déplore plus de 157 700 cas et plus de 29 500 morts, soit plus de 235 cas et 44 morts pour 100 000 habitants.

"Les modélisations disent qu'une politique de confinement généralisée marche moins bien qu'une politique de test, de contact tracing et d'isolement", remarque Patrick Pintus. Une étude pilotée par l'Ecole d'hygiène et de médecine tropicale de Londres, parue dans le Lancet* mi-juin, le confirme. D'après ces travaux, les stratégies de testing et de tracing réduisent plus fortement le taux de reproduction du virus que les tests de masse ou l'autoconfinement à eux seuls. Le dépistage massif de la population réduirait ainsi la transmission du virus de 2% à 5%. Avec l'autoconfinement des cas symptomatiques et la quarantaine, on passerait à une fourchette entre 29% et 37%, et, en y ajoutant le traçage des cas contacts, on atteindrait un effet allant de 47% à 64%. Reste une inconnue, souligne Antoine Flahault.

Le port du masque systématique et bien observé dans les circonstances de contact à risque, comme les transports en commun, et les mesures barrières, comme le lavage des mains, pourraient être beaucoup plus efficaces que ne l'envisagent les modèles actuels.

Antoine Flahaut, épidémiologiste

à franceinfo

Selon une étude internationale*, prépubliée fin avril, le port du masque pourrait avoir "un impact significatif" sur le cours de l'épidémie s'il était porté massivement. D'après les différents scénarios testés, le port du masque par au moins 80% de la population du Royaume-Uni, associé à la distanciation physique, se solderait par un bilan de 60 000 morts sur 500 jours. Un confinement, sans port du masque, qui durerait sur toute la période entraînerait 180 000 décès ; et le port du masque par seulement 50% de la population, associé à la distanciation physique, conduirait à 240 000 morts et ne permettrait pas de contenir l'épidémie (p. 6 du PDF). Des résultats qui demandent à être confirmés.

"Si on arrive à combiner un port du masque très respecté dans tous les lieux clos – les transports en commun, en particulier – et une stratégie de testing et de tracing de masse, espère Antoine Flahault, on parviendra peut-être à éviter un second confinement."

* lien en anglais

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