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Coronavirus : "Si les gens continuent à prendre du Plaquénil, nom commercial de l’hydroxychloroquine, de manière massive, on va se retrouver en difficulté", alerte l’Agence du médicament

Prescrit par certains médecins contre le coronavirus, l'hydroxychloroquine pourrait venir à manquer pour les malades à qui ce produit est normalement destiné, alerte Dominique Martin, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament, invité de franceinfo, mardi 31 mars. 

Article rédigé par franceinfo
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Utilisé dans le traitement du coronavirus, le Plaquénil pourrait manquer pour les affections contre lesquelles il est initialement destiné alerte l'ANSM.  (DAMIEN MEYER / AFP)

L'hydroxychloroquine, qui est un dérivé de la quinine comme la chloroquine, est actuellement utilisée par certains médecins pour lutter contre le coronavirus. La molécule est étudiée dans le cadre d'un vaste essai européen coordonné par l’Inserm, baptisé "Discovery". 

Mais l'Agence du médicament met en garde contre une utilisation hors milieu hospitalier. En Nouvelle-Aquitaine, l'ARS a relevé plusieurs incidents consécutifs à la prise de cette molécule. En outre, "Si les gens continuent à prendre du Plaquénil de manière massive, on va se retrouver en difficulté. Les malades à qui ce produit est normalement destiné n'auront pas accès à leur traitement", a alerté mardi 31 mars, Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), invité de franceinfo.

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Selon lui, les ventes du Plaquénil (dont la substance active est l’hydroxychloroquine) ont été multipliées par deux en pharmacie. Dominique Martin en a appelé à "la responsabilité" de chacun pour éviter une pénurie et a souligné que ce médicament peut provoquer des effets indésirables graves, voire des décès quand il est utilisé pour soigner le coronavirus Covid-19.

franceinfo. Selon un communiqué publié lundi par l’Agence du médicament, le Plaquénil a peut-être provoqué des décès ces derniers jours en France. Trois cas sont en cours d’investigation. D’où votre mise en garde ?

Dominique Martin. Exactement. C'est une mise en garde sur l'utilisation de ce médicament, l'hydroxychloroquine, plus connu sous le nom de Plaquénil, mais aussi le Kaletra [un antirétroviral associant lopinavir/ritonavir]. On a observé deux choses : la première, c'est qu'il y avait une augmentation des ventes du Plaquénil en ville, elles ont été multipliées par deux, en gros. Ce médicament est utilisé habituellement pour le lupus [maladie chronique auto-immune] ou les polyarthrites rhumatoïdes. Et là, on a eu une augmentation des ventes qui, évidemment, sont liées à l'utilisation pour le Covid-19. Donc première alerte : attention, il y a une utilisation en ville alors que le cadre actuel ne permet l'utilisation de ce médicament que dans les essais cliniques et également à l'hôpital.

La deuxième alerte, c'est sur le fait qu'on a observé un certain nombre de situations dans lesquelles il y avait eu des accidents, soit des malaises, soit des décès chez des gens qui prenaient ce médicament. Aujourd'hui, on enquête, on fait des analyses, on regarde si c'est bien le médicament qui est responsable du malaise ou du décès de ces personnes, ce n'est pas si simple que ça. Mais il y a ce qu'on appelle un "signal" qui nous laisse penser que dans certaines circonstances, ces médicaments peuvent donner notamment des effets cardiaques.

Cela veut dire que des médecins de ville prescrivent du Plaquénil actuellement pour soigner le coronavirus ?

Très probablement. Comme je vous l'ai dit, on a une augmentation des ventes qui est multipliée par deux. Or, aujourd'hui, l'avis du Haut conseil de la santé publique et le décret du 25 mars disent que ces médicaments, le Plaquénil mais aussi le Kaletra, dont on parle là, ne peuvent être utilisés qu'à l'hôpital : encore une fois, d'abord dans les essais cliniques, c'est le plus important pour la connaissance, et en dehors de ça sous surveillance cardiologique. Notre message est donc adressé à la fois aux praticiens et aux usagers, c'est un message de responsabilité.

Y a-t-il également un risque de pénurie de ce médicament qui est prescrit à des centaines de milliers de Français utilement tous les jours ?

Aujourd'hui, on a des stocks suffisants en Plaquénil pour les malades du lupus et de la polyarthrite rhumatoïde. Mais si les gens prennent de manière massive du Plaquénil en ville, on va se retrouver en difficulté. Ce qu’on a déjà observé c'est que dans certaines pharmacies, parce que des gens se sont précipités pour acheter du Plaquénil, il y a eu des ruptures locales puisque les pharmacies n'avaient pas suffisamment de stocks, donc les patients présentant un lupus ont dû attendre un ou deux jours avant d'avoir leur traitement.

Le risque c'est que si ça continue, si les gens continuent à utiliser le Plaquénil de manière massive, on ait une tension globale, et les malades à qui ce produit est normalement destiné n'auront pas accès à leur traitement. C'est vraiment une responsabilité citoyenne de faire en sorte qu'il n'y ait pas de risque de ce côté-là. Des médecins alertent par ailleurs sur un manque de morphine ou d'antibiotiques, notamment dans les dans les hôpitaux.

Est-ce le cas aujourd’hui ?

Il y a des tensions globales. On l'a tous observé, il y a une augmentation absolument considérable des situations d'urgence. Il a été annoncé le fait qu'on allait passer de 5 000 à 14 000 lits de réanimation. Donc c'est une augmentation qui est sans précédent. Et les médicaments qui sont utilisés dans ces situations d'urgence, que ce soit en médecine, en soins intensifs, ou en réanimation, sont sous très forte tension. C'est vrai de la morphine, c'est vrai des antibiotiques, c'est vrai de certains médicaments sédatifs qui sont indispensables. Il y a une très forte tension sur laquelle on est extrêmement mobilisés.

Votre homologue de l'Agence nationale du médicament vétérinaire affirme que vous l'avez contacté en vue d'utiliser éventuellement certains produits aujourd'hui réservés aux animaux ? Est-ce exact ? Quels produits sont concernés ?

C’est exact. Cela concerne notamment des sédatifs qui peuvent être utilisés en réanimation. Ce sont des médicaments qui sont tout à fait équivalents. D'ailleurs, les vétérinaires utilisent parfois des médicaments humains. Et on a fait des analyses sur certains sédatifs qui sont utilisés en médecine vétérinaire qui sont produits exactement dans les mêmes conditions. Donc, on a fait des analyses et il y a la possibilité de mobiliser, pour lever un peu ces tensions temporairement, ces médicaments vétérinaires.

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