Covid-19 au Brésil : trois questions sur le scandale des hôpitaux qui ont administré de l’hydroxychloroquine à des patients "cobayes"
Selon la chaîne Globonews, le groupe hospitalier Prevent Senior a testé un "kit Covid" utilisant notamment de l'hydroxychloroquine sur des patients qui n'avaient pas donné leur consentement.
"L'une des plus grandes barbaries de l'histoire de la médecine brésilienne." C'est ainsi que l'hebdomadaire brésilien Istoé décrit le scandale politico-sanitaire qui secoue le Brésil depuis un mois. Mi-septembre, la chaîne d'information en continu Globonews (article en portugais) révélait que Prevent Senior, à la fois groupe hospitalier et service de mutuelle brésilien, a lancé une "étude" pour tester l'efficacité, sur des patients, de l'hydroxychloroquine et de l'azithromycine dans des traitements contre le Covid-19. Problème : le groupe a initié l'étude sans le consentement des patients ni celui de leurs proches.
Au total, neuf patients "cobayes" sont morts au cours de la recherche, mais les auteurs de l'étude n'ont mentionné que deux décès. Nouveau rebondissement le 7 octobre, quand des médecins et des patients sont entendus par la commission d'enquête du sénat (CPI), apportant de nouvelles révélations. De son côté, Prevent Senior déclare, dans un communiqué, qu'il a toujours agi "dans le cadre de paramètres éthiques". Franceinfo fait le point sur ce scandale.
Que révèle la chaîne brésilienne Globonews ?
Tout est parti d'un dossier de 10 000 pages remis par 15 médecins à la Commission d'enquête parlementaire du Sénat brésilien (CPI), qui tente de lever le voile sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement, et dont Globonews a diffusé des extraits, raconte Courrier International. On y apprend que ces professionnels de santé disent avoir subi des pressions de la part de Prevent Senior pour administrer à des patients atteints du Covid-19 un "kit Covid", composé d'hydroxychloroquine, d'ivermectine et d'azithromycine, des molécules qui ont pourtant été considérées comme inefficaces pour traiter le virus.
Lors d'une audience au Sénat, trois médecins, anciens employés de Prevent Senior, ont été entendus. Parmi eux, Souza Neto, qui affirme "qu'entre fin mars et avril [2020], [Prevent Senior] a instauré un protocole pour prescrire de l'hydroxychloroquine aux patients. Il n'y avait aucune autonomie pour le médecin, c'était obligatoire", rapporte l'agence américaine Associated Press dans un long article (en anglais).
Surtout, ces professionnels de santé ont reçu comme consigne de ne pas avertir le patient ou la famille. La chaîne brésilienne Globonews a ainsi eu accès à des messages privés entre le directeur de Prevent Senior et ses subordonnés. "Nous allons commencer le protocole hydroxychlorochine + azythromycine", prévient le directeur Fernando Oikawa, qui insiste, en lettres capitales : "Veuillez NE PAS INFORMER LE PATIENT ou LA FAMILLE sur le médicament ou le programme."
L'un des médecins du rapport affirme que "l'étude" qui devait être publiée par le groupe hospitalier a été manipulée pour démontrer l'efficacité de l'hydroxychloroquine, alors que la quasi-totalité des études scientifiques concluent que ce médicament ne permet pas de traiter le Covid-19. Selon lui, le résultat était déjà prêt, et ce bien avant la conclusion de l'étude de Prevent Senior, poursuit Globonews.
Qu'est-il reproché à Prevent Senior, au cœur de la tourmente ?
Gérant de dix hôpitaux à Sao Paulo, le groupe Prevent Senior agit aussi comme un service de mutuelle au Brésil. Il propose une offre de soins à la classe moyenne qui ne peut pas se payer des soins de qualité supérieure, rapporte l'agence AP.
L'entreprise est accusée d'avoir falsifié les dossiers médicaux de neuf personnes mortes au cours de l'étude. Dans son enquête, la chaîne Globonews affirme que l'entreprise a "maquillé ses statistiques" en retirant la mention "Covid" des certificats de décès de plusieurs patients hospitalisés plus de deux semaines. "Prevent Senior a caché les décès du Covid-19. Et c'était intentionnel. Je n'ai jamais rien vu de cette ampleur", s'indigne le docteur Gonzalo Vecina, l'un des fondateurs de l'organisme de réglementation de la santé au Brésil, auprès d'AP.
De son côté, l'entreprise nie "tout acte répréhensible, toute irrégularité dans ses installations ou le fait d'avoir mené des essais non approuvés". Le groupe a déclaré à l'agence américaine AP que "tous les patients ou les membres de leur famille avaient donné leur consentement avant de recevoir le traitement". Mi-septembre, Prevent Senior a aussi répondu par l'intermédiaire de son directeur exécutif, Pedro Batista Júnior, devant les sénateurs brésiliens. Il a assuré que les médecins "étaient libres de faire leurs propres prescriptions pour le traitement du Covid-19 et que les patients avaient librement accepté de prendre leurs 'kits Covid'".
Que vient faire le président brésilien dans cette affaire ?
Depuis mi-septembre, l'affaire fait les gros titres au Brésil, l'hebdomadaire Istoé évoquant un "laboratoire des horreurs". Sur Twitter, Daniel Dourado, médecin, avocat et chercheur à l'université de Sao Paulo, dénonce "le plus grand scandale médical de l'histoire du Brésil". Il réclame aussi une enquête, notamment sur "l'implication du gouvernement Bolsonaro". Car au-delà des agissements du groupe, le rôle du président brésilien dans ce scandale pose question. Le magazine Itsoé accuse ainsi l'entreprise d'avoir, "dans un pacte avec le gouvernement qui rappelle des expériences macabres du passé, (...) bafoué l'éthique médicale", rapporte Courrier International.
Devant les parlementaires brésiliens, l'avocate du groupe des soignants lanceurs d'alerte, Bruna Morato, a martelé que ce "plan" a été "encouragé" par le président Jair Bolsonaro, qui rejette les mesures d'isolement adoptées par les gouverneurs des différents États du Brésil. Pour rappel, les inefficaces hydroxychloroquine et ivermectine font partie de ce que Jair Bolsonaro appelle le "traitement précoce" du Covid-19, ce qu'il a de nouveau défendu, en septembre, à l'Assemblée générale des Nations unies. Il a également réitéré qu'il n'avait "pas commis la moindre erreur" dans la gestion de la crise sanitaire du Covid-19, qui a fait près de 600 000 morts au Brésil.
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