Covid-19 : pourquoi la Seine-Saint-Denis est-elle particulièrement touchée par la troisième vague ?
Avec 781 nouveaux cas de Covid-19 pour 100 000 habitants sur une semaine, le département possède actuellement le deuxième taux d'incidence le plus élevé en France, juste derrière le département voisin du Val-d'Oise.
La Seine-Saint-Denis affiche des taux d'incidence records depuis plusieurs jours. Jusqu'au lundi 29 mars, elle était même en tête des départements français, avant d'être dépassée dans la soirée. Avec 781 nouveaux cas de Covid-19 pour 100 000 habitants sur une semaine au 26 mars*, elle se situe désormais juste derrière le département voisin du Val-d'Oise (794 pour 100 000 habitants), mais bien au-dessus de la moyenne nationale (371). Par ailleurs, le taux d'occupation dépasse les 120% en réanimation dans les services hospitaliers de Seine-Saint-Denis.
La situation n'est pas nouvelle pour les habitants de ce département, déjà durement touchés lors des précédentes vagues, mais les contaminations se sont fortement accélérées depuis la mi-février. Elles ont même doublé en moins d'un mois (voir le graphique ci-dessous). Comment expliquer cette situation qui semble aujourd'hui hors de contrôle ?
Parce que le département est densément peuplé
La Seine-Saint-Denis, qui compte 1,6 million d'habitants, est le troisième département le plus densément peuplé (6 871 habitants au km², selon l'Insee), après Paris et les Hauts-de-Seine. En comparaison, la France possède une densité de population d'environ 105 habitants au km². Résultat, en Seine-Saint-Denis, la population s'entasse souvent dans de grands ensembles d'habitation. "Il y a à peu près 30% de logements qui sont considérés comme en suroccupation dans le département", note Sandrine Joinet-Guillou, présidente de l'association Profession banlieue. Un logement est considéré en surpeuplement s'il offre moins de 18 m² par personne ou s'il manque une pièce par rapport à une occupation "normale" du logement, telle que définie par l'Insee.
"En plus de la taille restreinte des logements, on a des habitations totalement insalubres, et beaucoup de cohabitation entre les jeunes et les anciens… Tout cela rend encore plus difficile l'application des gestes barrières", explique Sandrine Joinet-Guillou. "Les conditions de vie face au virus sont un facteur important pour comprendre les différences de taux de contamination en fonction des territoires. On est plus à risque dans des villes que dans des zones à faible densité, confirme Cyrille Delpierre, épidémiologiste à l'Inserm de Toulouse. Quand vous vivez à quatre dans 30 m², ce n'est pas la même chose qu'à deux dans 40 m². L'aménagement de la ville est extrêmement important, le fait de vivre à côté d'un jardin ou non, ce n'est pas du tout la même chose."
Parce que les travailleurs y sont plus exposés
Les habitants de Seine-Saint-Denis ont un plus fort risque d'exposition au virus en raison de plusieurs facteurs, à commencer par le temps passé dans les transports. Selon un récent rapport de l'Institut Montaigne, environ 340 000 Séquano-Dionysiens travaillent dans un autre département. "Cela représente des flux énormes de population qui prennent les transports, et il suffit de regarder l'affluence sur la ligne 13 du métro pour comprendre…" note Sandrine Joinet-Guillou.
Un autre facteur d'exposition est lié à la composition socio-démographique de la population. "Il y a surreprésentation d'ouvriers, de caissiers, d'infirmières…" avance Sandrine Joinet-Guillou. Selon l'Insee, la part d'ouvriers dans le département dépasse les 21% (contre 19,5% pour la moyenne nationale). "Vous trouvez beaucoup de métiers en deuxième ligne, que ce soit dans la distribution, le transport… Des métiers où vous êtes en contact avec les gens et où vous êtes clairement plus exposé", ajoute Cyrille Delpierre.
Pour l'épidémiologiste, il est possible de se demander si un dernier facteur ne se cache pas dans un certain relâchement des gestes barrières. "Après un an de mesures contraignantes, on peut imaginer de la lassitude et le fait que l'on soit moins attentif à se protéger, même si c'est difficile à mesurer", estime ce directeur de recherche, qui s'intéresse à la manière dont l'environnement social participe au développement de pathologies. "Avec une population jeune, vous avez plus d'interactions sociales que dans les zones où la population est plus âgée, et comme le variant est plus contagieux, vous avez une population qui se contamine de proche en proche", conclut-il. Avec 35,4% d'habitants de moins de 24 ans, la Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune de France métropolitaine.
Parce que la contagion est forte dans les écoles
"Tout porte à croire aujourd'hui que l'école (…) est devenue un accélérateur de la propagation virale", alerte le député de Seine-Saint-Denis Jean-Christophe Lagarde, dans une lettre envoyée lundi à Emmanuel Macron. Le président de l'UDI demande au chef de l'Etat "de décider la fermeture immédiate des écoles, collèges et lycées de la Seine-Saint-Denis avant qu'il ne soit trop tard".
"Dans certains établissements scolaires, on en est presque au double de taux d'incidence, avec une hécatombe également chez les enseignants", s'est également alarmé sur franceinfo le député communiste de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu. Au lycée Eugène-Delacroix de Drancy, une cité scolaire de 2 400 élèves, une vingtaine de classes (sur 105) étaient fermées lundi en raison de la situation sanitaire très dégradée liée au Covid-19 dans l'établissement. Des professeurs ont exercé leur droit de retrait. "Il s'agit d'un département jeune, donc avec beaucoup d'écoles. Les jeunes font des formes asymptomatiques, donc répandent facilement le virus autour d'eux, notamment dans leur famille", observe Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé, médecin généraliste et directrice du service de santé de la ville de Nanterre.
Parce que le département cumule les difficultés
Avec près de 11% de chômage en 2019 selon l'Insee, la Seine-Saint-Denis fait partie des départements qui subissent le plus de difficultés socio-économiques. Le taux de pauvreté (28%) est également deux fois plus important que dans le reste de la France, comme le détaille un rapport parlementaire de 2018. "Plus on est précaire, moins la santé passe en premier. On essaie d'abord de garder son travail, de manger… Et la question du bien-être et de l'accès aux soins passe en dernier", explique Vincent Havage, directeur de l'association Profession banlieue. "Les départements les plus denses, les plus inégalitaires ainsi que ceux dans lesquels la part d'ouvriers est la plus élevée se sont en effet révélés les plus vulnérables", observe une étude du CNRS et de l'université de Nanterre sur la première vague.
Au printemps 2020, le département avait d'ailleurs déjà été touché par une surmortalité liée au virus de 118%, selon une étude de l'Observatoire régional de santé. "Il s'agit d'une population particulièrement à risques du fait de ses conditions de vie, avec une probabilité de faire des formes graves liées à des comorbidités, explique l'épidémiologiste Cyrille Delpierre. La prévalence du tabagisme, de l'obésité, ce ne sont pas uniquement des choix, des comportements individuels, c'est aussi lié à des conditions de vie, comme l'a bien montré l'étude Epicov."
Parce que la vaccination a pris du retard
Enfin, "la Seine-Saint-Denis est l'un des départements qui ont été le moins vaccinés", souligne Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé. Depuis le début de la campagne vaccinale, la France a fait le choix de cibler en priorité les personnes âgées, ce qui peut expliquer une partie du retard pris en Seine-Saint-Denis.
"On a aussi beaucoup parlé des Parisiens allant se faire vacciner dans les départements voisins, car les gens de Seine-Saint-Denis ont moins de facilités pour se connecter à Doctolib ou même pour téléphoner", ajoute Hélène Colombani. C'est pourquoi les taux de vaccination par département ne sont pas des données fiables, puisqu'ils ne correspondent pas toujours à la part de vaccinés parmi les habitants du territoire. La crise du Covid a ainsi remis en lumière la fracture numérique entre les départements. "On pense que tout le monde est connecté, a accès à internet, mais chercher un rendez-vous sur Doctolib, ce n'est pas à la portée de tout le monde", confirme Cyrille Delpierre. "Pour certains, il y a aussi la barrière de la langue", complète Sandrine Joinet-Guillou.
De nombreux élus réclament désormais une accélération de cette vaccination pour sortir le département de la crise. "Si on ne va pas plus vite sur la vaccination des enseignants, ça risque d'être compliqué d'avoir des écoles qui tournent", estime notamment le député communiste Stéphane Peu.
* Les chiffres sont communiqués avec trois jours de décalage.
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