Déconfinement : pour relancer l'économie, il faudra que les Français consomment ce qu'ils sont en train d'épargner, estime un économiste de l'OFCE
Selon l'OFCE, les huit semaines de confinement feront perdre 120 milliards d'euros d'activité à la France. Et pour réussir la sortie de crise, il faut que les ménages reconsomment comme avant, selon Mathieu Plane.
"Ce qui serait intéressant pour la reprise de l'économie, c'est que les ménages consomment cette épargne qui n'a pas été consommée aujourd'hui", assure lundi 20 avril sur franceinfo Mathieu Plane, économiste et directeur adjoint du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Pour l’organisme, les Français ont épargné 55 milliards d’euros depuis le début du confinement. Pour réussir la sortie de crise, il faut que les ménages reconsomment comme avant selon l’économiste. "Sinon, malheureusement, il y aura très peu de leviers de reprise", affirme-t-il.
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franceinfo : Comment arrivez-vous à une crise qui coûte 120 milliards d'euros ?
Mathieu Plane : L’évaluation est complexe. On a essayé d'évaluer ce qu'on connaît à peu près, c'est-à-dire le confinement. On n'est pas sur une prévision de croissance sur l'ensemble de l'année, mais sur les huit semaines connues de confinement. Le déconfinement est très complexe. On a très peu d'éléments encore. On ne s'aventure pas sur cet exercice-là. On regarde ce qui se passe sur le confinement et on regarde les chocs à la fois sur la consommation, l'investissement, sur les différentes branches, sur les comptes des agents, c'est-à-dire les ménages et les entreprises, des administrations publiques. Et on arrive à ce chiffre assez faramineux qui est qu'on a une perte de l'ordre de 120 milliards d'euros sur les huit semaines de confinement. 120 milliards d'euros de perte d'activité, ce sont à peu près deux milliards de perdus par jour, donc c'est colossal. C'est une vraie course contre la montre en termes d'impact économique.
De l’autre côté, selon l’OFCE, les Français épargnent beaucoup, 55 milliards d'euros, comment s’est possible ?
C'est le grand paradoxe. C'est-à-dire qu'on est dans un choc extrêmement violent pour l'ensemble des agents économiques. Sauf que dans ce choc-là, les ménages, en réalité pour beaucoup, sont un peu plus préservés, pour ceux, notamment, qui sont en contrat long, qui bénéficient du chômage partiel, des indemnités gardes d'enfants. Ils ont des pertes de revenus, mais qui sont bien moindres que d'autres, par exemple des entreprises ou des indépendants qui doivent fermer totalement leur commerce. On se retrouve dans une situation assez particulière où le revenu baisse. Mais en réalité, la consommation baisse encore plus. Le choc sur la consommation est tel parce qu'elle est contrainte, vous ne pouvez pas sortir dehors, consommer comme d'habitude, partir en voyage, etc. Ce qui fait qu'on a une épargne qui s'accumule de façon importante. On a estimé à 55 milliards d'euros sur les huit semaines. Ce qui serait intéressant pour la reprise de l'économie, c'est que les ménages consomment cette épargne qui n'a pas été consommée aujourd'hui, qui soutiendrait l'activité des entreprises. C'est un des grands enjeux de la suite. D'abord est-ce que ce ne sera que huit semaines de confinement et après on a un déconfinement ? Et au déconfinement, c’est comment les ménages vont pouvoir se comporter, c'est-à-dire d'abord des écoles, du travail, mais surtout aussi est-ce qu’ils vont pouvoir consommer comme avant ? C'est la première chose. Deuxièmement, s'ils peuvent consommer comme avant, c'est finalement est-ce qu'il y aura une extrême prudence et qui ferait que, justement, ils vont continuer à accumuler de l'épargne ? A ce moment-là, ça poserait un vrai problème parce que cette épargne qui s'accumule n'est pas consommée. Or, il faut savoir que majoritairement, l'activité des entreprises, elle se fait par la consommation et la consommation locale. On le voit par exemple pour les restaurants, pour l'hébergement, pour les spectacles, pour tout ce qui est touristique. Et donc, ça sera déterminant sur la suite des événements. C'est-à-dire que si on veut soutenir l'économie, il faut que cette épargne soit reconsommée, réinjecté dans l'économie. Sinon, malheureusement, il y aura très peu de leviers de reprise.
C'est au moment du déconfinement qu'on va voir à quoi va ressembler économiquement l'année 2020 ?
Oui, c'est ça. On a encore beaucoup d'incertitudes. On ne connaît pas la forme du déconfinement, réellement, on ne sait pas combien de temps ça va durer. On ne sait pas exactement quels sont les secteurs qui vont rouvrir ou ceux qui vont rester durablement fermés. Là-dessus il va falloir être très prudent. On peut imaginer que dans cette phase de transition on ne va pas retrouver des comportements normaux. Donc, c'est vrai que les ménages vont continuer, à priori, à accumuler de l'épargne. Ce qu'on craint en réalité, c'est qu'on passe dans une phase 2 où les entreprises, face aux difficultés qui sont durables, se mettent à licencier massivement. Aujourd'hui, on n'est pas dans cette phase-là. Donc c'est vrai que le revenu des ménages est épargné, est quelque part préservé parce qu'on n'est pas dans une phase où on a énormément de destructions d'emplois. Il y a des destructions d'emplois, mais c'est plutôt les contrats précaires, les contrats courts. Donc ça veut dire que le revenu des ménages reste quand même plutôt assez solide pour le moment, tant qu'on ne passe pas dans cette phase. Mais en revanche, si on ne veut pas passer dans cette phase 2 où on aura des licenciements massifs, il faut qu'on puisse, à un moment, retrouver de l'activité dans un certain nombre de secteurs. Pour qu'il y ait de l'activité, il faut que les ménages puissent consommer. Ça pose une vraie problématique à la fois entre les enjeux sanitaires, mais aussi entre les enjeux économiques.
À quel moment cette consommation sera déterminante, à quel moment ça va avoir tout son impact ?
Je pense qu'on va entrer vraiment dans le dur à partir du déconfinement. C'est-à-dire que si on voit que finalement, malgré le déconfinement, on a une extrême prudence ou un redémarrage de l'activité qui est très lent, on verra d'un point de vue budgétaire chaque jour supplémentaire. Ça impacte de façon nette les finances publiques. On voit bien que certains secteurs vont se retrouver en grande difficulté. Quand le choc est très fort, mais très transitoire, finalement, on peut récupérer certains commerces. Là, si c'est durable, on voit qu’énormément d'entreprises peuvent se retrouver en risque de faillite. Les risques de faillite veulent dire risques de destructions d'emplois. Là, le revenu des ménages ne serait plus préservé. C'est-à-dire que ça marche parce que pour le moment, on n'a pas une envolée du chômage comme aux Etats-Unis. Le risque, c'est que l'on passe dans la phase 2 où, justement, ça met tellement de temps à redémarrer qu'au bout d'un moment, les entreprises vont accuser des pertes irréversibles qui vont se traduire par des licenciements massifs. Et là, pour le coup, ce serait un choc massif sur les ménages. Et donc, cette épargne ne pourra plus être consommée parce qu'il n'y en aura finalement assez peu.
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