: Grand entretien Covid-19 : sous-dépistage, mesures moins efficaces... Des épidémiologistes analysent comment la pandémie frappe davantage les quartiers populaires
Les habitants des zones défavorisées sont à la fois moins dépistés et plus durement touchés que ceux des quartiers plus aisés. Décryptage en six infographies avec les épidémiologistes Jean Gaudart et Jordi Landier.
Le Covid-19 affecte-t-il différemment les plus pauvres et les plus riches ? Dans les Bouches-du-Rhône, un groupe de chercheurs rattaché au laboratoire Sesstim (Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l'
Franceinfo : Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser à l'impact de la pandémie selon les catégories socio-économiques ?
Jean Gaudart et Jordi Landier : Tout est parti de la deuxième vague, à l'automne dernier. Dans les Bouches-du-Rhône, le réveil épidémique a commencé plus tôt que dans les autres départements. Dès le début du mois de juillet, nous avons vu de plus en plus d'événements hyper contaminateurs, essentiellement chez les jeunes. Il s'agissait de fêtes organisées sur des 'rooftops', de restaurants qui se transformaient en boîtes de nuit ou de grandes fêtes pour des mariages. De telle sorte que, petit à petit, la fameuse courbe exponentielle a fini par accélérer au mois d'août.
Les courbes ont ensuite commencé à dessiner un plateau au mois de septembre, ce qui nous a d'abord rassurés. Nous nous sommes dit que la fin des vacances avait aidé à ralentir la propagation du virus, que les discours de sensibilisation, les gestes barrières simples comme le port du masque, le gel hydroalcoolique et la distanciation physique étaient plus faciles à mettre en œuvre sur les lieux de travail.
En fait, à mesure que le temps passait, les courbes restaient plates et ne redescendaient pas. Cela a commencé à nous inquiéter. Et finalement, à l'automne, les contaminations ont explosé. La situation que nous vivons aujourd'hui sur l'ensemble du territoire est d'ailleurs similaire à celle que nous avons connue en septembre dans les Bouches-du-Rhône, mais avec les variants en plus.
Comment expliquez-vous cette explosion à retardement en octobre ?
Avec des collègues, nous avons voulu comprendre ce qu'il s'est passé. Jusqu'alors nous n'avions que des indicateurs au niveau départemental. Grâce à des données détaillées à des échelles géographiques très fines, qui nous ont été fournies par la cellule régionale de Santé publique France, nous avons pu analyser comment l'épidémie s'est développée au niveau des quartiers. Et là, nous nous sommes aperçus que les dynamiques étaient très différentes.
Au niveau départemental, les courbes montraient un plateau. Mais en-dessous, au niveau des quartiers, ce n'était pas du tout le même schéma : les données épidémiologiques ne dessinaient pas les mêmes trajectoires selon les profils socio-économiques. Ainsi, après une croissance sur l'ensemble de Marseille, les quartiers les plus favorisés amorcent une stabilisation dès la fin août, alors que l'incidence continue de monter dans les quartiers défavorisés.
Qu'est-ce qui explique cette différence ?
Pour les populations aisées, certaines mesures barrières sont plus faciles à respecter. Il s'agit surtout de celles qui concernent l'isolement lorsque les personnes sont cas Covid ou cas contacts.
"Il est plus facile de s'isoler dans une pièce d'un grand appartement ou d'une maison ; dans les quartiers défavorisés, les logements sont plus petits, et parfois en suroccupation."
Jean Gaudart et Jordi Landier, épidémiologistesà franceinfo
Dans les quartiers favorisés, l'aide entre voisins, pour les courses par exemple, est également plus accessible. L'accès à l'information et aux aides sociales spécifiques est plus simple. Les populations les plus favorisées vont aussi avoir plus facilement accès au télétravail : elles vont donc être en mesure de choisir et d'ajuster leur niveau d'isolement en fonction des circonstances ou des messages de prévention. Les professions exercées par les habitants des quartiers défavorisés exposent également davantage la population. Et puis on n'a pas forcément accès aux tests en bas de l'immeuble.
Les plus pauvres sont-ils moins testés que les plus riches ?
Nous constatons qu'il y a un sous-dépistage dans les zones où vivent des populations moins favorisées. Cette différence est particulièrement criante dans les moments de forte hausse du nombre de tests réalisés en population générale : lorsque la pression épidémique est forte, comme au mois d'octobre dernier, ou à la veille d'événements familiaux, comme Noël, où les gens ont eu tendance à beaucoup plus se tester. Ce mouvement à la hausse est resté limité dans les territoires les plus pauvres. On constate que le nombre de tests par habitant y a très peu augmenté.
Il en résulte que le taux d'incidence dans ces quartiers est sous-estimé. Nous constatons également que les mesures gouvernementales semblent avoir un effet différencié dans le temps en fonction des catégories socio-économiques. C'est quelque chose qui ressort très clairement à Marseille en octobre dernier. La métropole a été placée sous couvre-feu dès le 17 octobre. Or les courbes montrent que l'impact de cette mesure s'est fait ressentir plus tardivement dans les quartiers pauvres, contrairement aux zones plus favorisées, dans lesquelles l'incidence a très rapidement atteint un plateau durant le couvre-feu et a commencé à diminuer avant le confinement.
Donc les mesures ne protégeraient pas tout le monde de la même manière ?
Le premier confinement, au printemps 2020, a eu un impact sur toutes les catégories de population. C'était quelque chose de très massif, tout le monde avait peur et il y avait peu de discours contradictoires dans les médias. Les scientifiques ne se contredisaient pas, ou très peu, sur les niveaux épidémiques. Ce qui n'a pas été le cas par la suite.
"Pour que les mesures soient efficaces, il faut surtout que la population se les approprie. Or, dans les quartiers défavorisés, on a des personnes qui ne peuvent pas se permettre de s'isoler. Parce que sinon elles n'ont plus rien à manger..."
Jean Gaudart et Jordi Landierà franceinfo
Nous avons en tête une personne qui venait de se faire embaucher pour faire des ménages dans une clinique privée. Elle avait été testée positive, mais elle ne s'est pas arrêtée. Elle n'a rien dit à son employeur parce qu'elle a eu peur que sa période d'essai soit interrompue. Et au final, elle était contagieuse avec des symptômes et elle a contaminé d'autres personnes. Ce type de situation est extrêmement fréquent.
Mais ce problème ne se pose-t-il pas quel que soit le niveau de vie ?
Bien sûr. Le déni de la maladie existe dans toutes les catégories sociales. Mais lorsqu'il est plus compliqué de trouver un travail, que l'on a moins accès aux aides sociales ou à l'information, on va avoir d'autant moins tendance à se dire malade lorsqu'on est positif.
Les inégalités constatées vont-elles se reproduire pour la vaccination contre le Covid-19 ?
On sait que les populations défavorisées ont du mal à accéder aux soins en général. Nous constatons qu'elles ont en ce moment davantage de difficultés à accéder aux diagnostics. On peut supposer, dès lors, qu'elles vont également avoir plus de mal à accéder aux vaccins.
"Dans les quartiers défavorisés, les barrières à l'accès aux soins sont multiples : il faut s'informer, prendre rendez-vous, se déplacer et avoir la demi-journée libre pour se rendre jusqu'au lieu de vaccination."
Jean Gaudart et Jordi Landierà franceinfo
A ce titre, les initiatives d'ouvertures de centres de vaccination dans ces quartiers, l'implication forte des professionnels de santé et des associations locales, ainsi que la mise en place de bus vaccinaux semblent très prometteuses.
Et sur le volet mortalité, le Covid-19 est-il plus meurtrier dans les quartiers pauvres ?
Nous n'avons pas encore étudié la mortalité et les données hospitalières à l'échelle des quartiers. Le facteur principal de mortalité liée au Covid demeure l'âge. Et ces quartiers ont souvent des populations plus jeunes. Mais des travaux, menés bien avant la pandémie, ont démontré un lien entre les conditions socio-économiques et les risques de diabète, de maladies cardio-vasculaires ou d'obésité. Des situations de santé considérées comme des facteurs de risque de Covid sévère. Il faudrait donc analyser la mortalité avec soin pour ne pas passer à côté des effets du virus dans les territoires défavorisés.
Quelles conséquences à long terme la pandémie peut-elle avoir dans ces territoires ?
Ce qu'il faut avoir en tête, c'est que les populations les plus pauvres seront non seulement celles qui paieront le plus cher sur le plan sanitaire – séquelles du Covid long, mortalité, retard de prise en charge d'autres pathologies – mais aussi sur le plan économique et social. Ces personnes seront probablement les plus affectées par les conséquences économiques de la pandémie. Il est probable que la sortie de la crise soit marquée par une aggravation des inégalités sociales et de santé.
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