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"Je me sens trahie" : des mères privées du maintien de salaire promis en cas de garde d'enfants pendant le confinement

Malgré la promesse du gouvernement, certains salariés n'ont pas reçu de leur employeur le complément que devait leur permettre de toucher 90% de leur salaire.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une mère de famille encadre le travail scolaire de ses enfants, le 27 mars 2020. (MAXPPP)

"Si vous êtes un parent qui garde son enfant, vous avez au moins 90% de votre salaire." Au deuxième jour du confinement en France, la ministre du Travail Muriel Pénicaud avait été claire : tous les parents contraints de se mettre en arrêt pour s'occuper de leurs enfants auraient droit à un maintien quasi-intégral de leur paie. "On va obliger tous les employeurs à payer la partie complémentaire jusqu'à 90%", avait-elle assuré, mercredi 18 mars, sur Radio Classique.

Cette promesse, Louise* ne l'a pas oubliée. "Au début, j'avais même compris qu'aucun salarié ne perdrait un centime", se souvient-elle. A la mi-mars, cette mère de 44 ans s'est mise en arrêt de travail pour garder son fils de 5 ans, qu'elle élève seule. En temps normal, elle dit gagner "environ 1 200 euros par mois" comme employée du secteur de la relation client. Fin mars, elle n'a pourtant découvert que 738 euros sur son compte. "J'étais effondrée. Je me suis sentie trahie par mes gouvernants, par rapport à leur promesse", confie-t-elle.

Comme prévu, la Sécurité sociale a pris en charge 50% de son salaire sur la période d'arrêt. Mais l'employeur de Louise n'a pas versé les 40% restants. Il s'est contenté de payer les jours de travail de la première quinzaine de mars. Il est en tort, pense alors Louise. "Mais je suis nouvelle dans l'entreprise et tous les autres salariés sont en télétravail, je ne sais pas vers qui me tourner, dit-elle. Je n'ose trop rien dire, pour ne pas compromettre ma situation. J'ai peur des sanctions, j'ai peur de me retrouver SDF."

D'autres mères précaires privées de complément

Des témoignages de mères de famille découvrant un salaire nettement amputé, franceinfo en a recueilli plusieurs. Marion*, 32 ans, téléopératrice dans le Sud-Ouest, n'a touché que 770 euros le mois dernier, contre 1 100 euros d'habitude. Là aussi, l'employeur n'a payé que les jours travaillés avant la fermeture des écoles. "J'ai un loyer de 600 euros à payer et deux enfants de 5 et 7 ans à nourrir, soupire la trentenaire. C'était déjà pas la folie tous les mois, mais là, je vais devoir tout limiter. J'ai déjà demandé à ma banque de repousser de trois mois mon crédit auto."

Gouvernante au sein d'un grand groupe hôtelier, Stéphanie* n'a reçu que 1 173 euros en mars, contre 1 500 euros d'ordinaire. Là aussi, pour la deuxième moitié du mois, seule la Sécu a versé des indemnités. "Mon employeur ne paie pas les 40% parce que je n'ai pas un an d'ancienneté, paraît-il", témoigne cette mère de 30 ans. En poste depuis septembre, Marion, la téléopératrice, a reçu la même réponse.

On m'a dit que c'était normal de ne pas avoir de complément, parce que j'étais depuis moins d'un an dans l'entreprise.

Marion

à franceinfo

Ces employeurs sont dans leur droit. L'article L1226-1 du Code du travail réserve bien le versement d'une indemnité complémentaire par l'employeur à "tout salarié ayant une année d'ancienneté dans l'entreprise". C'est ce texte qui faisait foi au moment du versement des salaires de mars.

Une promesse tenue "dans les prochains jours"

Qu'est devenue la promesse de Muriel Pénicaud, garantissant "au moins 90% de [leur] salaire" aux parents en arrêt ? Employée de la grande distribution dans le Sud-Est, Chiara* se le demande. Fin mars, avec moins de six mois d'ancienneté, elle n'a reçu que 600 euros, pour la première quinzaine du mois. Et c'est tout : aucun complément de son employeur, "et rien non plus de la Sécu, parce que l'entreprise ne lui a pas transmis à temps les documents".

C'est de l'enfumage tout ça, c'est pas ce qui avait été annoncé par le gouvernement.

Chiara

à franceinfo

"Qu'est-ce que je dois faire, s'insurge cette mère de 42 ans, qui élève seule ses enfants de 6, 15 et 18 ans. Reprendre mon travail, prendre des risques et faire garder ma fille par je-sais-pas-qui pour pouvoir payer mes factures ? Ou rester à la maison avec seulement la moitié de mon salaire ? On nous met le couteau sous la gorge. C'est aberrant."

Joint par franceinfo, le ministère du Travail assure que la promesse concernera tous les parents "dans les tous prochains jours", mais sans effet rétroactif. Un décret incluant les salariés avec moins d'un an d'expérience va en effet être publié, en application de l'ordonnance n°2020-322 prise dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, parue au Journal officiel le 26 mars. Cette ordonnance prévoit que l'indemnité complémentaire sera désormais versée aux salariés "sans que la condition d'ancienneté (...) ne soit requise".

Pourquoi ce délai de plusieurs semaines ? "Début mars, nous avons supprimé les jours de carence qui s'appliquent d'ordinaire aux arrêts de travail pour le complément employeur, mais la loi ne nous permettait pas de revenir aussi sur la condition d'ancienneté", explique un conseiller du ministère. Il a donc fallu attendre le vote d'une nouvelle loi et la publication prochaine de ce décret d'application pour permettre à tous de bénéficier du même droit. Entre temps, des parents, souvent des mères seules, ont perdu plusieurs centaines d'euros, que le gouvernement leur avait pourtant promis.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.

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