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"Je suis passée tout près de la mort" : après le traumatisme de la réanimation, la longue reconstruction psychologique des patients Covid-19

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
De nombreux malades ayant survécu au Covid-19 après un séjour en réanimation souffrent de séquelles psychiques en plus des traces physiques. (AWA SANE / FRANCEINFO)

Des semaines, parfois des mois après leur passage en réanimation, des patients atteints du Covid-19 souffrent encore d'un mal-être psychologique lié au choc de la maladie. La prise en charge, organisée le temps de la réadaptation, reste incomplète à leur retour à domicile.

Assis au bord du lit, le regard souriant, Philippe Cottereau attend le retour à sa vie normale. Ce début de soirée ensoleillé est le dernier que cet ancien de la RATP passera ici, dans cette chambre étroite du service de médecine physique et de réadaptation de l'hôpital Fernand-Widal, à Paris. Le retraité de 65 ans, le visage rond et la barbe blanche, est impatient de laisser derrière lui quatre mois d'hospitalisation. Son corps tremble encore, habité par le Covid-19 et trois semaines de réanimation. Son bras gauche est comme paralysé. "Je suis heureux, ça fait drôle de savoir qu'on a failli y passer", dit-il, ému. "Psychologiquement, aujourd'hui, c'est merveilleux par rapport à là où je suis passé."

Comme lui, de nombreux malades ayant survécu à la maladie après un séjour en réanimation en portent les traces physiques et psychiques. Ces séquelles sont "une menace réelle, dont l'importance reste mal évaluée", de l'avis de l'Académie nationale de médecine (fichier PDF). Ces patients, toujours dans "une longue convalescence", "sont intensément marqués", alerte-t-elle. "En plus de la récupération fonctionnelle des organes atteints, ils ont besoin d'un soutien psychologique".

La réanimation, un traumatisme en soi 

Pour les soignants interrogés par franceinfo, ce soutien doit être engagé dès la sortie de réanimation. Dans les services de rééducation, de soins de suite et de réadaptation, où les complications physiques de la réanimation sont prises en charge, des psychologues sont aussi présents. "La plupart des patients ici sont tombés malades dans les tous premiers jours de l'épidémie, ils n'ont donc pas réalisé son ampleur", présente Marylène Jousse, spécialiste en médecine physique et réadaptation à l'hôpital Fernand-Widal. "C'est extrêmement dur quand ils l'apprennent au réveil. Ils se rendent compte qu'ils sont passés à un cheveu de la mort." 

Philippe Cottereau, dans sa chambre du service de médecine physique et de réadaptation de l'hôpital Fernand-Widal, à Paris, le 21 juillet 2020. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Amaigri et affaibli, Philippe Cottereau souffre aussi d'importants trous de mémoire. Le souvenir de son réveil du coma, où il s'est vu "branché de partout, un cathéter dans le cou" dans "un endroit assez noir", est pourtant vif. "Vous êtes seul, vous ne pouvez plus bouger, vous ne savez pas où vous êtes", relate le patient. "J'étais angoissé, perdu." 

Après un passage en unité de soins intensifs, 50 à 70% des patients développent un "syndrome post-réanimation", rappelle l'Observatoire régional de la santé (ORS) de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ces symptômes sont "évocateurs de troubles de stress post-traumatique" : cauchemars et flash-back fréquents, "émotions négatives" et troubles de l'humeur, sans compter les "symptômes d'anxiété". 

"Un travail psychologique de l'urgence" est indispensable, résume Marion Saulnier, psychologue clinicienne. En soins de suite et de réadaptation du Groupement hospitalier intercommunal du Vexin, à Aincourt (Val-d'Oise), la professionnelle a pris en charge des patients dès leur arrivée de réanimation. "Ils avaient vraiment besoin qu'on puisse leur replacer des repères, leur dire : vous allez remarcher, reparler, remanger, et repartir chez vous." Une "majorité" de ses patients "ont développé des symptômes liés au traumatisme de la réanimation". "Il fallait être assez rapide et efficace."

Leur dernier souvenir, c'est quelqu'un qui dit : 'on va vous intuber, on va vous transférer en réanimation'. Et la violence des actes médicaux, le fait d'être tourné, retourné, intubé, crée le traumatisme.

Marion Saulnier, psychologue

à franceinfo

Des "symptômes de confusion et de sidération" sont apparus chez ces malades, ainsi qu'une grande difficulté "à prendre conscience de ce qui leur était arrivé". L'un des patients d'Aincourt, Claude Picot, a mis très longtemps à réaliser, après 58 jours en réanimation. Il y a d'abord eu le choc "assez violent" de voir ses membres ne plus fonctionner. Puis ce moment "très difficile" où il a compris s'être approché de la mort. "Depuis début juillet, je prends davantage conscience des choses et c'est très compliqué", confie cet homme de 57 ans, tombé malade en avril après une chimiothérapie. "Le plus dur, c'est de savoir qu'on aurait pu ne plus être là pour sa famille. J'ai peur de revivre ça." 

"Ce ne sera plus jamais comme avant" 

Certains patients souffrent "d'angoisses, de difficultés de sommeil, de cauchemars", observe Marisa Denos, neuropsychologue à la Pitié-Salpêtrière. "Il y avait des reviviscences, des flashs" d'"images traumatiques" de la réanimation, poursuit sa consœur Marion Saulnier. Des hallucinations aussi. La fréquence de ces perceptions "horribles, inquiétantes et étranges" a marqué Valérie Herr-Daroux, psychologue à l'Institut universitaire de réadaptation Clémenceau, à Illkirch (Bas-Rhin). Des impressions de séparation, de conflit avec des proches, parfois même de drames. "Beaucoup de patients avaient l'impression que leurs proches étaient décédés", confirme Marion Saulnier. "Ils croyaient à ces hallucinations, même après avoir revu leurs proches." 

L'aide d'une psychologue a aidé Rabah Jaouani, un patient d'Aincourt, à retrouver un meilleur sommeil. "Pendant un moment", celui-ci était marqué par des cauchemars et une grande angoisse. "J'avais très peur au départ. Est-ce que je vais retrouver ma vie d'avant ? Je me suis posé la question une centaine de fois, elle me travaillait la nuit", confie cet homme de 54 ans, rentré chez lui mi-juillet. 

Une semaine avant de sortir, je faisais encore des cauchemars, y compris la journée. Je voyais des fantômes qui venaient chercher une infirmière, et je me battais avec eux.

Rabah Jaouani

à franceinfo

A cela s'ajoute "un syndrome dépressif réactionnel", complète Marylène Jousse. "Je n'ai plus de cauchemars ou d'hallucinations, mais je suis triste", souffle Fernand Pierre, allongé sur son lit, en blouse d'hôpital. Cet homme de 67 ans y est en réadaptation depuis deux mois et demi, après un mois en réanimation. Le visage défait et le regard inquiet, il dit avoir perdu "la moitié" de son autonomie et ne parvient pas à s'apaiser. "Ce ne sera plus jamais comme avant", répète-t-il, immobile sur son lit. Fernand Pierre peut marcher, mais ses bras restent lourds et ses mains sans force. "Un orage" lui est tombé dessus. "C'est très dur d'être dans cet état. Ça a cassé ma vie."

Un choc unique, celui de l'épidémie 

Dans son service de la Pitié-Salpêtrière, Marisa Denos est elle aussi "allée au devant", proposant aux patients un soutien à leur arrivée après la réanimation. "Nous sommes partis du principe qu'ils allaient en avoir besoin", souligne la psychologue. A cause de l'épidémie, "la situation était particulière, avec des patients isolés, qui ne pouvaient pas voir leurs familles", rappelle-t-elle.

La spécialiste en neuropsychologie a remarqué une souffrance liée à l'incertitude médicale face au coronavirus. "Des patients ont été testés négatifs puis ont fini aux urgences en insuffisance respiratoire. Ils ressentent de la colère et de la peur", explique Marisa Denos. Ils s'interrogent : un diagnostic moins tardif leur aurait-il évité la réanimation ? Pour Marion Saulnier, ces pensées ont engendré un sentiment "de persécution", l'impression d'avoir été "un cobaye". "Le personnel soignant était très inquiet et incertain. Les patients l'ont ressenti", ajoute-t-elle.

Des soignants retournent une patiente atteinte du Covid-19 dans le service de réanimation de l'hôpital Purpan, à Toulouse (Haute-Garonne), le 21 avril 2020.  (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)

Les rescapés partagent la même incompréhension. Les patients de Marisa Denos se demandent comment et pourquoi une telle épreuve est arrivée, si les séquelles vont rester, si le virus va revenir. "L'anxiété est d'autant plus forte que l'on parle d'un traumatisme collectif, à une échelle immense", poursuit Marilyne Baranes. Cette docteure en psychologie clinique et psychopathologie, spécialiste du stress post-traumatique, suit cinq patients post-réanimation, âgés de 28 à 40 ans. "D'habitude, des patients sortis de réanimation ont, plus ou moins rapidement, le sentiment d'avoir échappé à la mort, d'être tiré d'affaire. Là, les gens ne comprennent pas pourquoi cette maladie a fait tant de dégâts, pourquoi on n'a pas prévenu les gens plus tôt. Et avec la possibilité d'une deuxième vague, ils sont pétris de peur."

L'angoisse est d'autant plus forte pour des jeunes qui n'avaient jamais connu l'hôpital. A 22 ans, Hugues Mignot voit son état physique revenir "quasiment comme avant", même si tout effort sportif reste interdit. Ses cheveux et poils de barbe blanchissent et tombent. "C'est lié au stress post-traumatique", dit calmement ce Parisien passé dix jours en réanimation en mai. À l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine), Hugues Mignot était l'un des rares patients conscients dans le service. Si les médecins étaient "très humains", les souvenirs restent violents, comme cette vue sur la chambre d'un homme très âgé, placé sous respirateur et dans le coma. Ou ces trois jours critiques "où je me suis rendu compte que c'était peut-être la fin"

Un médecin est venu m'annoncer que mon état ne s'arrangeait pas. Il m'a dit qu'il ne savait pas si j'allais passer la nuit.

Hugues Mignot

à franceinfo

Deux mois et deux rendez-vous avec une psychiatre plus tard, l'étudiant se sent "un peu libéré" des cauchemars et hallucinations. "Les scènes qui reviennent s'estompent", mais le jeune homme vit encore "quelques crises d'angoisse", comme ce moment dans un métro "bondé", entouré d'usagers ne portant pas de masque. Hugues Mignot a quitté la rame et fini son trajet en taxi. Les informations sur le virus l'inquiètent, tout comme le temps long avant une rémission complète. "J'ai vu une étude disant qu'on pouvait le rattraper. Ça me stresse, je ne veux pas retourner à l'hôpital", lâche-t-il. 

Pendant un mois, de retour chez ses parents, Hugues Mignot n'est "quasiment pas sorti". Cette peur de l'extérieur est très présente chez les patients de Marion Saulnier, à l'approche du retour au domicile. "Le simple fait de leur dire 'vous allez sortir' réactivait chez eux une grande angoisse, beaucoup de pleurs et d'affect dépressif", note la psychologue. Nombreux étaient ceux qui craignaient une rechute, et l'absence du corps médical, une fois chez eux.

"Aujourd'hui, ce n'est pas encore ça"

Avec le travail d'écoute de leur souffrance, une majorité des patients en soins de suite à la Pitié-Salpêtrière "allaient mieux" à leur sortie, remarque Marisa Denos. Marion Saulnier a pris soin d'appeler ses patients pendant environ un mois après leur sortie. Et ensuite ? Si des infirmières à domicile sont présentes au début "pour vérifier l'état physique et psychologique des patients", aucune autre prise en charge psychologique n'est prévue. "C'est ce qui a beaucoup manqué", regrette la psychologue. Elle et ses confrères ont tenté d'aider "en leur donnant des adresses", à l'instar d'Aurélien Freyburger, psychologue au centre de rééducation de Mulhouse (Haut-Rhin). Dans cet établissement, un patient sur deux a bénéficié d'un soutien psy à son arrivée. A leur sortie, "soit il s'agit du libéral, et ce n'est donc pas pris en charge, soit ce sont des centres médico-psychologiques, où il y a énormément d'attente". 

Le traumatisme est répertorié dans la classification internationale des maladies. Le suivi psychologique post-traumatique doit être pris en charge par la Sécurité sociale.

Marilyne Baranes, psychologue

à franceinfo

Sylvie Barra s'est donné le temps, à sa sortie de l'hôpital, de voir l'évolution de sa santé mentale. Cette ancienne infirmière de 60 ans voulait croire à des progrès sans aide, mais "j'avais un mal-être qui s'accentuait", reconnaît-elle. L'angoisse "permanente", la peur du virus et de la mort, et des crises de larmes. Après un mois, la patiente a sollicité sa psychologue, qu'elle voit chaque semaine.

"Aujourd'hui, ce n'est pas encore ça", déplore la jeune retraitée, qui explique souffrir du syndrome du survivant, que connaissent parfois les rescapés d'attentats. Une culpabilité de vivre, alors que l'événement traversé a fait tant de victimes. "Je suis passée tout près de la mort. J'ai une envie puissante de croquer la vie à pleines dents, mais une partie de moi me dit : 'je n'ai pas le droit, d'autres sont morts'." 

Ça m'empêche un peu de vivre. Je me sens complètement décalée, en flottement entre la sortie de l'hôpital et la vraie vie. Plus rien n'a d'importance. L'ordinaire est ennuyeux quand vous êtes passé tout près de la mort.

Sylvie Barra

à franceinfo

En Ile-de-France, les patients qui n'ont pas les moyens financiers d'entamer une psychothérapie peuvent consulter le réseau Recup'Air, qui aide à la réadaptation des personnes atteintes de maladies broncho-pulmonaires et a mis en place un suivi gratuit. Cinq séances avec des psychologues sont offertes. Depuis le début de leurs suivis respectifs, mi-avril et début mai, deux patients de Lizet Jammet montrent "des améliorations dans la prise de conscience de soi, de son corps et de la réalité", salue cette psychologue du réseau. L'un accepte mieux ce qu'il a traversé, l'autre, une femme âgée pétrifiée par la crainte de contaminer les autres, "a pu avoir accès à sa famille""Cette prise en charge permet au patient de retisser son histoire, sa relation aux autres", souligne Véronique Trebourg, psychologue pour Recup'Air.

Les effets à plus long terme restent méconnus. Se pose aussi la question du suivi des proches, eux-mêmes parfois très éprouvés. En cette fin du mois de juillet, l'idée de consulter un psychologue en famille "trotte dans la tête" d'Eric Mignot, après avoir vu son fils si près de la mort. Pendant ces jours de mai où Hugues était en réanimation, son père a "pris la foudre". "Je ne dormais plus. Quand les médecins appelaient, je tremblais comme une feuille", raconte-t-il, décrivant "sans doute le pire moment de ma vie". Ces traumatismes s'estomperont-ils avec le temps ? Pour Aurélien Freyburger, des troubles anxieux "se résorbent d'eux-mêmes", si la personne retrouve "un train de vie normal sans évitement massif des situations anxiogènes". Pour certains, "il peut y avoir des stress post-traumatiques plus tard, même si la personne a repris une vie normale""On n'est pas à l'abri de ça."

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