Cet article date de plus de trois ans.

Covid-19 : quel est l’impact pour les bébés du port du masque généralisé ?

Le gouvernement a annoncé mardi la distribution de 500 000 masques transparents pour les personnels des crèches et maisons d’assistants maternels. Une bonne nouvelle pour les professionnels de santé, qui s'inquiétaient de l'impact du masque pour l'apprentissage des tout-petits.

Article rédigé par franceinfo - Pauline Pennanec'h
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une auxiliaire en puériculture tient dans ses bras une petite fille dans une salle de la crèche. Photo d'illustration. (SIMON DAVAL / MAXPPP)

"Il n’a connu que des gens masqués". Anne-Laure a donné naissance à un petit Marin, en juin dernier. Né en pleine crise sanitaire, son bébé n'aura finalement connu que des gens aux sourires cachés "depuis l’accouchement, puisque j’ai accouché avec le masque, jusqu’à aujourd’hui, que ce soient les professionnels de l’enfance (puéricultrices à la crèche, pédiatre) ou les gens qu’il croise dans la rue."

La jeune maman y voit comme une "barrière" entre elle et son enfant, à la maternité ou en balade."Avant le confinement, je trouvais ça très triste de sortir en promenade avec le visage caché, et un bébé qui ne me voit que très peu pendant ces temps de loisir à l’extérieur, confie-t-elle. Finalement, j’étais contente de rentrer à la maison et de pouvoir lui sourire, faire des grimaces, l’embrasser..." Le petit Marin semble le vivre mieux que sa maman.

"Il n’a pas l’air inquiet ou perturbé quand on sort, ou quand il est à la crèche, même si je vois bien qu’il n’interagit pas autant avec nous quand on porte le masque, dehors, qu’à la maison."

Anne-Laure, jeune maman

à franceinfo

"Il n'y a plus que les yeux pour leur parler", regrette Marie. Chaque jour, cette jeune maman de 30 ans emmène sa fille Capucine, âgée d'un an, chez la nounou. Elle le reconnaît, le port du masque reste compliqué avec sa petite fille, pour son apprentissage. Elle s'inquiète qu'elle ne puisse pas voir les expressions du visage. D'ailleurs, la petite "a toujours envie d'enlever mon masque quand je la récupère ou que je l'emmène chez la nourrice". Pour elle, il n'y a pas de secret : "Un enfant a besoin de voir nos sourires, nos mouvements de bouche pour apprendre à dire tel ou tel mot."

Covid-19 : quel est l’impact pour les bébés du port du masque généralisé ? - Reportage de Pauline Pennanec'h

Une période "fragile et critique"

En France, depuis le 18 septembre, le port du masque est obligatoire pour les personnels de crèches, garderies et maisons d’assistantes maternelles, même en présence des seuls enfants. Une mesure qui inquiète les professionnels. En mai dernier, Anna Cognet et Célia du Peuty publient une tribune dans Libération. À l'époque, ces deux psychologues cliniciennes proposent l'adoption de masques transparents pour les personnels de la petite enfance. "Il s'avère qu'on avait une expérience en travaillant en réanimation néo-natale, raconte Anna Cognet à franceinfo. On a été témoins, en particulier chez un bébé qui était resté cinq mois dans notre service, d'un impact du masque sur son développement". En compagnie de son enfant, fragile, la maman porte un masque, comme tous les soignants. "Sur le plan langage-social, on s'est rendu compte qu'il avait vraiment du retard. Il n'arrivait pas à vocaliser comme il le fallait et ne souriait pas en réponse aux adultes quand on retirait le masque", poursuit-elle. Mais en retirant le masque, en assez peu de temps, son développement avait repris.

"J'ai pas mal de collègues en crèche qui pensent vraiment qu'il va y avoir des retards de langage chez une petite génération de bébés."

Anna Cognet, psychologue clinicienne

à franceinfo

Pour la psychologue clinicienne, cette période reste "fragile et critique". "Le fait de ne pas savoir si on lui sourit, de ne pas bien comprendre le peu de mots qu'il connaît parce que les sons sont un peu étouffés, peut participer à un sentiment d'insécurité pour le bébé", explique-t-elle. Le masque transparent paraît donc être une solution.

"Sur le plan du développement, c'est embêtant qu'il y ait un masque qui couvre le visage", reconnaît Anna Cognet, psychologue clinicienne

Des masques inclusifs pour les professionnels

Le vœu d'Anna Cognet est finalement exaucé : le gouvernement annonce, mardi 17 novembre, la distribution prochaine de 500 000 masques transparents pour les personnels des crèches et des maisons d’assistants maternels (MAM). "Les professionnels exerçant leur activité en présence de jeunes enfants recevront trois masques transparents chacun", précise le communiqué de la Caisse nationale des allocations familiales, qui financera la distribution. "En tout, près de 458 000 masques seront ainsi distribués dans les 17 000 crèches financées par la prestation de service unique (PSU) et la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) et 42 000 masques dans les 3 500 MAM."

Une bonne nouvelle, pour le pédopsychiatre Robert Cohen : "À l'âge de l'apprentissage, ce n'est pas négligeable". Le spécialiste se souvient qu'au début, "lorsqu'on a commencé à mettre le masque, les enfants changeaient de tête. Maintenant, les parents le portent aussi, et honnêtement, ils ne nous regardent plus de la même façon". Selon le spécialiste, les tout-petits "sont plastiques" : "Ils s'adaptent. Mais voir les lèvres, c'est très bien."

La mesure est saluée par le Syndicat national des professionnels de la petite enfance, qui rappelle néanmoins que les assistants maternels doivent aussi bénéficier de cette mesure.

"Certaines choses risquent de perdurer"

Des masques transparents à la crèche, d'accord, mais les tout-petits devront bien s'habituer à voir des gens (entièrement) masqués pendant encore de longs mois. Au cours de la crise du Covid-19, "il y a eu une régression sur pas mal de choses, confie Anna Cognet. Les professionnels de la petite enfance en crèche étaient très attentifs sur la bientraitance du bébé, attentifs à son développement, permettre une adaptation où les parents sont présents etc. Tout ça, ils sont obligés de le laisser de côté. Et certaines choses risquent de perdurer."

"On a un risque de retour en arrière sur les soins qu'on apporte habituellement aux tout-petits."

Anna Cognet, psychologue clinicienne

à franceinfo

Alors, comment lire les expressions sur le visage ? Manon Berthod, éducatrice de jeunes enfants, a conçu un livre intitulé Les yeux qui parlent, illustré par Solène Laferrière. L'objectif : apprendre aux enfants à reconnaître les signes qui leur permettront de deviner les expressions de la personne derrière le masque. Ludique, le livre propose 13 expressions du visage sur lesquelles les masques seront intégrés sur une page en papier transparent. "Le masque déshumanise la personne, c'est une barrière dans la relation, explique à franceinfo Manon Berthod. On sait que l'enfant apprend les codes sociaux en regardant les attitudes des gens. Il fallait donc travailler avec le masque et trouver des outils pour accompagner les enfants."

Illustration Solène Laferrière

Ce projet est un moyen de mettre des mots sur le quotidien des enfants durant la crise du Covid-19, mais aussi d'accompagner les enfants hospitalisés, pour qui le port du masque est un équipement courant. "On n'a pas envie de se souvenir de cette période, mais les enfants sont des êtres d'émotion, affirme l'éducatrice et auteure du livre. Il faut dire que ça a existé, et pouvoir dédramatiser. On fait avec."

"Il faut dire que ça a existé, et pouvoir dédramatiser", raconte Manon Berthod

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.